guess who's there ? (flashback ft astrid)

Assis sur le bord du trottoir, le soleil qui tape intensément sur tes bras dénudées de manche longue, tu prends l'air. Ou plus sincèrement, tu t'aères l'esprit, tu te remets les idées en place, tu réfléchis à ce qui vas t'arriver les prochaines heures. Voilà deux jours à peine que tu es de retour à Montréal et que tu as débarqué chez tes parents après six années d'absence et de silence. Tu t'en doutais un peu mais, tes parents t'ont bien accueillit, surtout ta mère, en larme, ravis de savoir que son fils allait très bien, et qu'il était de nouveau près d'elle. Ton père, militaire et fier, a toujours été pudique sur ses sentiments et tu tiens vraiment ça de lui finalement mais, lui aussi n'a pas su retenir son soulagement que d'savoir qu'il n'avait pas perdu son deuxième fils. Il s'est longtemps senti responsable de la mort de Jim, puisque c'est lui qui l'as envoyé à l'armée, comme Samuel. Mais ce dernier n'a jamais remit la faute sur son père durant ses dernières années à vagabonder, il s'est mit la faute sur lui, de pas avoir su protéger son frère de ce monde là. De pas avoir su le protéger comme un grand-frère, même de six minutes, aurait du le faire. Un soupire s'échappe de tes lèvres à cette pensée, parce que tu culpabilises toujours et ce sera toujours comme ça. Même si aujourd'hui t'es prêt à revenir, à assumer tes actes et à te battre, ce sentiment de culpabilité ne partira jamais entièrement. Il s'estompera certainement avec le temps mais, il ne disparaîtra jamais.

Tu zieutes le message de ta mère, avec inscrit dessus l'adresse de ta soeur, Astrid. T'as fais jurer à tes parents de ne rien dire de ton retour et cela même si tu vis chez eux pour l'instant, préférant aller prévenir ta petite soeur toi-même de ton retour. Elle est mariée, ta mère t'as craché le morceau. Ta petite soeur est devenue une femme et tu as hâte de voir ça de tes propres yeux mais, c'est là que t'appréhendes. Tu vas te pointer chez elle et si c'est son mari qui ouvre ? Est-ce qu'il connaît au moins ton existence ? Et si il sait tout, est-ce qu'il acceptera que ce frère indigne rentre à nouveau dans la vie de sa femme ? Tout un tas de questions auquel les réponses te seront données dans quelques minutes, quand tu seras devant sa porte. Et il est temps, maintenant, d'y aller. Téléphone rangé dans ton pantalon, tu marches dans les rues de Montréal en cette belle fin d'après midi de ce mois d'août, le soleil qui tape encore et tu suis les adresses pour arriver à celle de ta soeur. Tu sens le stress qui monte, tu reconnais ce sentiment d'aventure, d'inconnu qui t'habites à nouveau. Il s'agit pourtant de ta soeur, la même que tu as chouchouté tant d'années, que tu as emmerdé sans cesse comme un grand-frère le ferait avec sa petite soeur. Te voilà devant la porte, la sonnette ayant déjà retentit, et t'attends, impatiemment, l'esprit à la recherche de tout ce que tu pourrais lui dire. La vérité, simplement.  

"On devrait investir dans un jacuzzi". Elle entendit d'abord son rire. Ensuite, il releva la tête vers elle. Ses sourcils étaient légèrement froncés, sa moue un peu stupéfaite. Pourtant, il était quand même beau, là, à la lueur du soleil d'été. "T'as d'autres bonnes idées comme ça ou c'est juste la première d'une longue liste de conneries ?". Il se foutait d'elle. Comme d'habitude quoi. Elle ne se démonta pas pour autant. "Non, mais sérieusement, ça serait vachement bien !". Astrid se décolla de son époux. Elle se décala pour avoir une meilleure vue et planta son regard dans le sien. "Toi et moi, à poil dans une grosse baignoire qui fait des bulles, ça serait cool, non ?". Elle se voyait parfaitement, les pieds en éventail dans son bain à remous, profitant d'une après-midi comme celle-ci, le soleil venant percer les vitres de la petite véranda à l'arrière de la maison. "Ouais, et on le mettrait où ? Dans les quinze mètres carré qu'on a de jardin ?". Bon, il n'avait pas tout à fait tord. Ça faisait deux bons mois qu'ils avaient emménagé dans cette maison. Une charmante baraque aux pierres usées par le temps. Une maison pas franchement très grande, mais assez pour accueillir quelques gamins, plus tard. Ils avaient tous les deux flashés dessus, devenant par la suite les heureux propriétaires de ce petit bijoux. Les cartons étaient enfin hors de vue, les quelques travaux terminés et c'était le premier week-end où ils profitaient pleinement de leur nouvel habitat. "Ouais... pas faux...". Elle croisa les bras sur sa poitrine, abdiquant non sans oublier de bouder un petit peu. Elle était comme ça Astrid, chiante comme la pluie, ténébreuse comme l'orage. Une vraie force de la nature et ça sembla faire rire celui qui avait bien accepté de passer le restant de ses jours à ses côtés. Elle entendit de nouveau son rire, chaud et doux, avant que ses lèvres ne se posent sur sa joue rosie. "On s'fera une journée au spa, si tu tiens vraiment à voir mon corps d'Apollon dans un jacuzzi !", finit-il par dire, en se levant de la banquette sur laquelle ils flânaient depuis de longues heures. Il s'étira de tout son long et elle le dévora du regard. Malheureusement, il allait travailler et elle allait passer le reste de la journée seule, loin de lui.

Enfin, ça n'avait pas que des désavantages. Astrid en profita pour prendre soin d'elle. Soin des cheveux, masque pour le visage, peinture des ongles. Tout y passa à un rythme engagé comme les titres du vieil album des Spice Girls qui tournait en boucle dans la maison. Elle chantait à tue tête, comme vingt ans plus tôt, dans sa chambre d'enfant. Elle se souvenait encore du désespoir dans le regard de son père ou de sa mère lui demandant tant bien que mal de baisser le son. Mais elle s'en foutait Astrid. Peu importe qu'on lui dise qu'elle chante mal, elle était bien décidée à traverser l'océan, débarquer en Angleterre pour devenir une Spice Girl, elle aussi. Et si le groupe ne voulait pas d'elle, elle avait prévu le coup en enlevant la Victoria en la séquestrant dans une cave. Elle aussi elle savait tirer la gueule toute la sainte journée et défiler en talons de quinze. Il fallait juste qu'elle troque sa blondeur pour du foncé, mais c'était un sacrifice qu'elle était prête à prendre.
Enfin, il n'y eut ni voyage, ni enlèvement ni même teinture dans les cheveux. Astrid n'était pas devenue une Spice Girl et ses talents de chanteuse ne semblaient pas impressionner grand monde.  Elle passa vingt minutes à se décider entre deux vernis à ongles - avant de choisir de mettre les deux finalement -, lorsque la sonnette de la porte se fit entendre. Astrid ne se posa pas vraiment de question. Ce devait être un voisin ou même un coursier. Peut-être avait-elle reçu du courrier ou alors on allait lui annoncer qu'elle avait gagné le million au loto... Enfin, peu probable, puisqu'elle n'y jouait pas, mais c'est sans être particulièrement interloquée que la jeune femme descendit les escaliers pour se rendre dans l'entrée de la maison et ouvrir la porte. Un geste tout à fait naturel qui se transforma bien vite lorsque son regard se posa sur la personne face à elle. Samuel. Sam. Son grand-frère. Oui, c'était lui. Aucun doute possible. Son visage semblait plus mûr. Ses traits s'étaient durcis et peut-être avait-il pris quelques rides ici et là. Mais c'était lui. Là. Face à elle. Elle mit bien cinq bonnes secondes à faire quelque chose. Elle en oublia presque de respirer. Un mélange explosif de sentiments foutant le bordel dans sa tête. Il y avait la joie d'abord, de le revoir. Le soulagement, de le savoir vivant. Et puis, la colère. Surtout la colère. Un nuage voila son regard et, sa bouche se serra. Et un premier réflexe. Celui de claquer la porte si violemment que les murs se mirent à trembler.
Peut-être pas la meilleure chose à faire, mais Astrid ne répondait plus. C'était le bug complet dans le système d'exploitation. Un beau bordel qui lui faisait perdre complètement pied. Elle venait de lui claquer la porte au nez, et pourtant, ça bouillait à l'intérieur d'elle. Tous ces sentiments gardés pendant six longues années ne demandaient qu'à ressortir. Ils débordaient de partout, et elle rouvrit la porte aussi violemment qu'elle avait pu la fermer, bien décidée à faire de son frère son punching-ball. S'il s'était attendu à un accueil rempli d'amour et de tendresse, il avait frappé à la mauvaise adresse. Astrid était une furie, elle avait toujours eu un sacré caractère, mais là, ça dépassait tout entendement. Elle serra le poing et lui frappa brutalement l'épaule. "T'es qu'un gros con !", scanda-t-elle, se fichant bien de la douleur qui la lança au niveau de sa main. Elle tourna ensuite les talons, laissant la porte ouverte derrière elle alors qu'elle dévalait le couloir de l'entrée pour se rendre dans la cuisine, mettant en route la cafetière. Le sérieux de son visage dénotait avec le reste. Ce chignon mal fait d'où de nombreuses mèches s'échappaient, son short en jean, son t-shirt trop grand et puis toutes ces couleurs différentes sur ses ongles. Elle avait imaginé ce moment des milliers de fois. Dans l’hypothèse où son frère allait bien et se décidait à rentrer. Il y avait eu cette illusion de lui tomber dans les bras. De l'embrasser, de pleurer. Même de lui crier à la figure toute la peine qu'elle avait dans le cœur. Mais jamais elle n'avait imaginé un scénario pareil. Tout était en bordel dans son esprit. Elle ne savait même pas si elle était en colère ou heureuse. Probablement un peu des deux.

Tu faisais face à la porte, qui s'était ouverte puis refermé tel un courant d'air monstrueux. T'avais à peine pu deviner le visage de ta soeur, Astrid, derrière cette porte et même si ça n'avait été que trois secondes, t'avais senti la colère dans son regard. Encore une fois, à quoi tu t'attendais ? Qu'elle te saute dans les bras ? Oui peut-être qu'au fond, secrètement, tu l'avais espéré, c'est vrai, tu l'avoues. On peut pas t'en vouloir d'avoir espéré ça parce que toi, tu voulais l'avoir dans tes bras, contre toi. Cette petite soeur que tu as chéri toute ta vie, que tu as protégeais, guidé, aimé, conseiller et beaucoup embêter, certes. Mais tu croyais vraiment qu'elle allait t'accueillit les bras grand ouverts après six ans d'absences et de silence ? T'es stupide, Sam. T'entends la poignée qui se baisse à nouveau et le visage de ta soeur refait surface devant toi, les yeux noirs, le visage serré comme jamais. Toi t'es stoïque devant la porte, t'as pas bougé depuis tout à l'heure, si ce n'est ta mâchoire qui s'est serré. Et qui se serre davantage quand elle laisse son poing s'abattre sur ton épaule. "T'es qu'un gros con !" lance t'elle, violemment pour finalement te tourner le dos et rejoindre l'intérieur de sa maison. Tu fais les gros yeux pendant qu'elle ne te voit pas, laissant ta main venir frotter l'endroit  ou Astrid a tapé quelques secondes plus tôt, feintant une légère grimace. Ok, elle en a pas l'air mais, elle a de la force cette petite et elle a pas l'air de le savoir. Bon, t'es pas au point d'en perdre ton épaule mais, t'as senti ta douleur et, tu l'as bien mérité. Caractérielle, c'était bien ta petite soeur, ça.
Tu te frotte l'arrête du nez, attendant un signe, un mot, une autre insulte ? Mais elle n'en fit rien, mettant simplement ce qui ressemble à une cafetière en route. Tu finis par rentrer, à pas léger, fermant la porte derrière toi. Tu veux te faire tout petit mais, maintenant que t'es là, c'est un peu tard. Ton épaule te lance un poil mais, rien d'insurmontable, en tout cas largement moins que ce que doit ressentir ta soeur à l'heure actuelle. Elle ne doit même pas savoir comment agir, quoi faire, quoi dire ou bien elle attends simplement que tu parles ? T'es venu là pour ça, non ? Alors parles Sam, assume. « j'suis désolé, astre. » Tu lances, d'une voix grave et en même temps qui se veut douce. 'j'suis désolé', c'est nul, complètement nul, inutile, stupide, mais t'as pas su quoi dire. et 'astre', c'est comme ça que t'aimais l'appeler, avant. T'as toujours dit qu'elle était ton soleil, cette chose qui brille en toi et qui veille toujours sur toi. C'est ce qu'elle était et même quand t'étais en voyage pendant six ans, tu regardais souvent le soleil en pensant à elle, ta petite soeur. Petite par la taille et par l'âge mais grande par le coeur, tout ce qu'elle a fait pour toi quand vous étiez plus jeunes, les fois où elle t'a couverte devant vos parents avec ton frère, toutes les fois ou elle a menti parce que tu lui as demandé. Et toi, ton remerciement, ça avait été d'la laisser seule, ici, sans défense, sans protection. Quel frère exemplaire Sam, t'es fier de toi j'espère. Tu lèves les mains devant ton visage, exaspéré toi-même par tes mots. « je sais que c'est facile de dire ça, 'j'suis désolé', mais... je l'suis, vraiment. et j'suis pas fier de t'avoir laissé seule face à tout ce que t'as vécue, j'aurais dû être là pour toi, t'aider à surmonter cette douleur...» Cette douleur, la perte de Jim. Mais tu l'dirais pas, t'as pas envie d'le dire à haute voix, parce que t'as pas envie d'en parler, en fait. Tu sais que ça va venir sur le tapis, c'est inévitable mais, t'es pas encore prêt à le sortir de ta bouche, même si c'est la raison principale de tout le bordel que t'as foutu dans ta vie et dans la vie de tes proches. Elle est dos à toi, les poings appuyés sur le rebord du plan de travail, tu ne vois pas son regard ni l'expression de ton visage. Mais tu l'as devine facilement, tu sais que ta soeur va exploser à tout moment et t'es prêt à tout entendre, ou presque. Mais t'es prêt à assumer, à la rattraper, à lui faire comprendre que t'es revenu, vraiment, pour de bon.