i am a mess. (samuel)

L'alcool. C'est affolant de constater à quel point des litres et des litres se déversaient lors d'une soirée, dans les verres d'hommes et de femmes, de jeunes et de plus âgés, qui recherchaient soit un peu d'amusement, d'évasion ou alors parfois un peu de réconfort. Elle les voyait défiler, étant simplement l'intermédiaire entre eux et leur boisson tant convoitée. Les verres, les bouteilles, les glaçons. Ses mains transvasaient d'un endroit à un autre. Servir au salon de thé et dans un bar en plein samedi soir n'était pas le même rythme à adopter. Tout allait si vite : servir et encaisser, servir et encaisser. La tête de la jolie blonde lui valait parfois quelques shoots offerts par de généreux clients, qui espérant sans doute un peu plus que quelques mots de politesse. Quelques pourboires étaient glissés sur la table dans les soirées les plus animées, mais jamais rien de bien extravagant. Chaque soir, c'est ce boucan de paroles inaudibles provenant de partout et de nul part, lui donnait mal à la tête. Ce soir était plus pénible encore, la fatigue grandissante.

Le service était terminé depuis déjà bien une heure et demi. Samuel était encore enfermé dans son bureau, à faire les comptes de la fructueuse soirée sans doute. Tous les autres employés avaient déjà pris congés, en vue de l'heure tardive. Mais récemment embauchée, c'était la petite dernière de l'équipe qui était de corvée de fermeture le samedi soir. Là où il y a le plus de boulot. Une fois les lumières allumées et les gens déguerpis, la salle ressemblait à un véritable carnage. D'abord, les objets trouvés. Nombreux sont ceux qui oublient leurs affaires. Parfois, c'est simplement une veste ou un gilet, ou comme ce soir : un téléphone portable. Emma les rangeait tous dans la boite à la salle arrière où était entreposé le stock du bar. Un carton aux nombreux lots abandonnés. Après avoir remonté les chaises sur les tables, elle passait un coup de serpillère sur le sol. Un bip sonnait la fin du lave-vaisselle. Dans une petite caisse, la barmaid empilait les verres avant de partir en direction de l'étagère où les ranger. Mais le sol étant encore mouillé de son passage, son pied glissa en avant et c'est en arrière qu'elle bascula. La caisse s'écrasait par terre dans un bruit strident, marquant les quelques verres cassés. "Merde, merde..." Répétait-elle sans cesse dans l'espoir que son boss n'ait rien entendu. Mais il aurait fallu être sourd pour ne s'être rendu compte de rien. En se relevant, sa main prenait appui sur un morceau de verre brisé qui écorcha sa peau. Et bien que la douleur l'arrêta trois secondes, l'appréhension de la colère de Samuel n'en tenait pas compte et elle se dépêcha de ramasser tous les morceaux.

Les boulots, ils s'étaient tous enchaînés dans la vie de la demoiselle. Un curriculum vitae aussi long que son mètre soixante-cinq. Pourtant, rien ne la prédestinait à avoir une carrière professionnelle aussi bancale. A la sortie du secondaire, Emma s'est automatiquement -et peut-être trop tôt- dirigée vers la faculté de droit. Le temps est passé. Travaillant sans relâche pour obtenir son diplôme, elle avait néanmoins l'impression de perdre quelque chose. Comme si l'essentiel de sa vie était passé à la trappe. Comme si l'essence même de sa volonté de vivre était oubliée, effacée. Quelle était la raison d'un tel acharnement ? D'une telle angoisse pesante envers les examens ? Cette boule au ventre à l'idée d'effectuer un métier qui aurait régi entièrement de sa vie. Celle qui aurait rythmé chacun de ses jours jusqu'à la fin de sa carrière. Bousculer entre les tribunaux, les entretiens avec les problèmes des gens, même quelques uns à l'âme obscure et en perdition. Que faisait-elle, qu'espérait-elle ? C'est alors qu'à un semestre de la fin de ses examens, un semestre juste avant la remise de son diplôme, qu'elle a tout claqué. Ce n'était pas cette vie à laquelle elle aspirait. Ce n'était pas l'avenir dans lequel elle souhaitait être enfermée à jamais. Cela ne lui correspondait pas. Mais que recherchait-elle dans le fond ? Une question à laquelle aujourd'hui encore, elle ne trouve pas de réponse.

Mais ces expériences diverses et variées lui ont apporté énormément sur le point personnel. A vrai dire, ce n'est plus la même depuis la faculté de droit. Après tout, c'était une petite fille et désormais, c'est une femme pleine de ressources et de caractères. Seulement, ce job signifiait beaucoup plus. Kyllian l'avait recommandé, il s'était mis en responsabilité par rapport à elle. C'était la première fois qu'on lui accordait autant d'importance et surtout, qu'on avait à ce point confiance en ses capacités. L'envie de ne pas le décevoir. Au fil du temps, c'est aussi celle de la contradiction qui s'est ajoutée. Samuel était parfaitement en droit de douter de ses intentions et son sérieux. Mais la demoiselle est d'un caractère plutôt contradiction. Mais comment pouvait-elle lui en vouloir en même temps ? Elle avait eu vent de l'importance de cet établissement pour son patron. Touchée par une telle histoire, elle était bien prête à lui prouver qu'il se trompe à son sujet. Enfin, peut être pas ce soir. "Ca va, j'ai pas fait exprès ! Je viens juste de laver le sol et j'ai glissé." Commençait-elle à se justifier tant bien que mal, malgré la fatigue qui se faisait plus pesante. "Je vais tout nettoyer." S'empressait-elle de ramasser les morceaux avant que son boss ne la remette comme il faut à sa place. Prenant un instant, elle laissait échapper un soupire en attrapant un torchon pour l'enrouler autour de la blessure de sa main. "Je sais que tu m'apprécies guère mais tu n'es pas obligé de me parler sur ce ton..." Osait-elle lui répliquer. Tout deux fatigué, ça peut provoquer un incendie.

Sans voix. Emma restait un instant silencieuse, encaissant les coups. Le regard rivé sur le sol, ses mots l'écorchaient. On dit souvent que les mots peuvent être plus violents que des actes. Son ton, la dureté de ses paroles, son regard noir : elle se sentait suffoquée. tu m'fais d'la merde s'écriait-il. Se mordant la lèvre, Emma se remémorait les efforts qu'elle faisait depuis des jours. L'acharnement qu'elle mettait au travail pour s'améliorer, pour prouver qu'elle n'était pas synonyme de désespoir. Sa mâchoire s'ouvrait dans le but d'émettre un quelconque son mais rien ne pouvait sortir, rien n'arrivait à transpercer sa gorge. tu vas te poser un jour ?! lui crachait-il d'un ton dédaigneux. Voilà le plus gros problème de sa vie. Réussir à fonder quelque chose de concret et de réel. Et c'était bien ce qu'elle cherchait à faire. A défaut d'avoir une vie sentimentale chaotique, ce job était une sorte de rédemption. "Tu abuses..." Murmurait-elle en secouant légèrement la tête. Elle contenait cette vibration au plus profond d'elle même. Un mélange de colère tout en étant désemparée. Pour une fois que les choses étaient différentes. Pour une fois que tout semblait aller mieux. Au début, ce n'était qu'un simple défi à relever. Une opposition à assumer. Une contradiction avérée. Mais le temps a rendu les choses plus à coeur. Elle tenait à ce travail, comme une preuve de réussir quelque chose de sa vie. Relevant la tête vers lui, l'employé osait enfin à affronter son boss. Faisant un pas vers lui, elle pointa son doigt contre sa propre poitrine. "J'ai fais énormément d'efforts ces derniers semaines." Commençait-elle en cherchant comment prouver sa bonne volonté. "Je me suis vraiment améliorée, j'ai travaillé dur pour réussir à faire les cocktails et j'ai même sympathisé avec quelques clients. Et j'ai même parfois échangé pour permettre à des gens de l'équipe de prendre leur journée, je suis volontaire." Désemparée, elle cherchait ses mots. Comme face à un mur, qu'importe ce qu'elle pouvait dire, elle avait l'impression d'être une moins que rien, ce qui eut le don de lui montrer les larmes aux yeux. "Malgré ce que tu peux croire, je tiens à ce job et je suis pleine de bonne volonté. Mais t'es trop aveuglé par tes chiffres et enfermé dans ton bureau pour voir quoique ce soit !" Finissait-elle par lâcher en haussant le ton. Les nerfs montaient. Se mordant fortement la lèvre, elle finissait par jeter le torchon, qui essuyait sa main blessée, sur le comptoir. "Je sais que tu n'as jamais voulu m'embaucher. Mais tu ne me dis pas que tu m'as laissé une chance car ton opinion sur moi était déjà bien arrêté avant même mon premier jour." Lâchait-elle dans la confrontation. Ca lui faisait de la peine. Tous ces efforts réalisés en vain. Qu'importe la bonne volonté, qu'importe les améliorations, le résultat était toujours le même. Un préjugé à la con.

Les mots se déversaient hors de sa bouche comme une rivière agitée qui s'écrase contre des roches. Il appuyait sur les points sensibles de la demoiselle, percutant alors sur ses faiblesses. La douleur palpable à son coeur rendait pénible sa respiration. Elle encaissait jusqu'alors les attaques sans le lâcher du regard, obnubilée par la colère et la haine qui jaillissaient de ses yeux. Les mots résonnaient à l'intérieur de sa tête, tapant contre sa boite crânienne. La fatigue de la semaine faisait trembler ses membres, si ce n'est la tristesse de cet instant. Elle aurait pu jeter l'éponge, lui hurler sa démission. Mais elle était trop fière pour lui donner raison, pour quitter une fois de plus un job sans intérêt et confirmer ce qui tout le monde pensait tout bas. Mais peut-être que tout simplement, elle était bien parmi eux. Se pinçant les lèvres, elle retenait ses mots. Sa voix faiblesse l'aurait trahie. Dans le fond, ses dires étaient fondées. Elle ne pouvait répliquer. Elle ne pouvait lui donner tord. Rien dans sa vie passée n'aurait pu la sauver de cet instant fatidique, qui trônait au dessus de sa tête comme une épée de Damoclès, attendant le moment opportun de tomber. Tous les efforts du monde ne suffiraient probablement pas à valoriser son image, ni même l'opinion qu'il lui porte. Alors à quoi bon ? A quoi bon se battre pour une cause perdue d'avance ? "une fille pas sérieuse, pas stable, qui s'fou de tout ce qui l'entoure sauf d'elle-même, merde!" Lui crachait-il au visage. Malgré tout ce qu'Emma aurait voulu cacher, tout ce qu'elle aurait voulu effacer, cette phrase l'avait saigné. Brisée au plus profond de ses convictions, elle sentait les larmes lui monter aux yeux. Remettant en cause tous ses fondements, tous ses efforts et toute sa bonne volonté. Baissant la tête comme une fille qui venait de se faire réprimander par son paternel, ses yeux fixaient le sol avant de s'embrumer. Ce job, cela lui tenait à coeur. C'était avec plaisir qu'elle venait chaque soir au bar, bien qu'une boule au ventre lui commençaient depuis quelques jors à lui prendre les tripes à l'idée de devoir affronter son patron. Douloureuse confrontation. Une abdication. Renonçant définitivement à émettre un autre son qui aurait laisser un sanglot, ses yeux laissèrent couleur une larme. Ses dents venant mordre sa lèvre inférieure, elle y concentrait une pression pour éviter de défaillir. Quand Samuel fit mention de sa blessure, elle levait légèrement la main pour observer la paume entaillée. A vrai dire, cela ne lui faisait même plus mal. La douleur s'était estompée au profit d'une autre plus profonde. Intérieurement, elle s'en voulait de se montrer aussi faible, aussi vulnérable envers un être qui était ce soir la cause d'un tel état. Le bruit de l'eau sortant du robinet la faisant légèrement sursauter, un léger regard fut jeter en sa direction, vers l'aide qu'il lui proposait enfin. "Laisse tomber..." lâchait-elle enfin, sa voix faible lui faisant défaut. Secouant légèrement la tête, elle lui tournait empressement le dos pour s'échapper dans la salle à l'arrière du bar, celle là même où les employés déposaient leurs affaires avant le service. Une seconde larme vint s'échapper et rouler le long de sa joue. Glissant sur sa mâchoire, elle finit par s'écraser contre son t-shirt. En retenant un léger sanglot, elle récupérait sa veste pour l'enfiler, puis attrapait les lances de son sac à main. Geste effectuée de la mauvaise main, elle laissait tomber le tout en sifflant. "Fais chier." Soupirait-elle, las de beaucoup de choses.