▪️ table n°03 - emma desrosiers.

Mais qu'est-ce qu'elle foutait ici ? Emma commençait désormais à regretter de s'être inscrite à ce speed-dating. Se serrant nerveusement les mains à l'entrée, la demoiselle n'avait néanmoins pas hésité à se faire belle pour l'occasion. Une jolie robe noire, classique et cintrée à sa fine taille, était accompagnée de cuissardes de la même couleur. Son gilet blanc aux rayures dorées lui permettait de couvrir ses épaules et ses bras nus. Ses cheveux relevés permettait de dégager son cou et ses épaules. En terme de maquillage, c'est plutôt pour des couleurs nudes qu'elle opta, ne voulant pas rentrer dans l'extravagance, la provocation ou même la vulgarité. A vrai dire, ses intentions étaient particulièrement honorables à cette soirée. L'envie peut être de réellement trouver une personne qui lui correspond ? Prenant un badge à son nom à l'entrée, elle fût accueillie par Oscar Lefebvre lui-même. Légèrement intimidée par la présence de cet homme qui semblait si accessible, la demoiselle s'est dirigée en sa compagnie jusqu'à la table qui lui était réservée. La décoration se prêtait si bien à la soirée et à l'ambiance de la Saint Valentin. Un léger excitation mélangé à de l'appréhension se faisait ressentir à l'intérieur, lorsqu'elle prit place sur sa chaise. Épinglant le badge à son tissu sur le haut de sa poitrine, elle attendait patiemment le début. Quand la fondateur de l'application et organisateur de l'événement prononçait le nom de son premier prétendant, Emma ne pouvait s'empêcher d'écarquiller les yeux.  Voilà que la soirée s'annonçait pleine de surprise. Mais après tout, peut être était-ce le meilleur instant pour apprendre à se connaître en dehors du cadre du travail, de cette relation patron-employé et peut être en dehors de tout apriori ? "Bonsoir, Samuel." L'accueillait-elle une fois qu'il fût arrivé à sa table. "Je ne m'attendais pas à te voir ici." Ajoutait Emma en passant sa main dans sa nuque, légèrement mal à l'aise et ne sachant pas tellement comment aborder cette première entrevue.

Le rouge de la nappe se reflétait sur ses pommettes. Des pommettes saillantes, sublimées par un sourire blanc, éblouissant. Il fixait ses canines, Basil. Et sa bouche, qui remuait en rythme avec l’excitation dans le timbre de sa voix aigue. La Saint-Valentin. Ce ramassis de conneries, orné de roses insipides et de chocolats amers. Une fête commerciale que Charlotte adorait. Elle s’extasiait facilement, les prunelles brillantes, à l’idée de célébrer l’amour. Leur amour. Basil, il s’y pliait docilement, l’emmenait au restaurant, lui offrait un bouquet flamboyant, caressait sa peau nacrée, lui faisait l’amour jusqu’à l’aube. Puis, elle était morte Charlotte. Brûlée, dans les enfers d’un métier qu’il chérissait. Et avec elle, dans les flammes crépitantes, la Saint-Valentin. C’était une idée de ses collègues, cette soirée. Un speed-dating ridicule. Une excuse pour sortir, pour s’ouvrir aux autres. Sa vie sentimentale était semblable au néant, au désert de Gobi. Un choix parfaitement assumé, pour ce célibataire au cœur fermé. Les rendez-vous chronométrés se succédaient. De sublimes créatures aux épaules dénudées défilaient, et Basil déchantait. Les conversations étaient creuses, sans intérêt. Des banalités, au milieu d’un décor qui lui donnait la nausée. Ses doigts jouaient impatiemment avec le pied de son verre à vin. Le liquide rouge glissait contre les parois de verre, comme un tsunami qui submergeait le récipient. Puis un ding, et un soupire de soulagement quittait ses lèvres. Il remercia la demoiselle dont le prénom lui échappait, avant de se rendre à la table suivante. Mécaniquement, il déboutonna les boutons du col de sa chemise, qui l’engonçaient. La table n°3 se dessinait sous ses prunelles voilées. Il s’assit machinalement, les coudes posés contre la surface en bois. Et progressivement, il détailla la silhouette devant lui. La courbe familière de son visage, de son nez, de ses iris claires. Emma Desrosiers. Une ombre, aperçue dans le couloir quelques heures plus tôt, comme un mirage. Amour de jeunesse tatoué derrière ses paupières. Une romance, qui a forgé son palpitant. « Emma… » souffla-t-il, les sourcils relevés. « Il me semblait bien t’avoir reconnu. Tu n’as pas changé. » Il sourit pour la première fois d’un sourire sincère.

A son nom, la demoiselle retenait son souffle. Traversée par un frisson glaciale remontant jusqu'à sa nuque, elle s'attendait à un fantôme. Un fantôme du passé, presque oublié avec le temps. Presque. L'ombre d'une histoire sans fin, arrêtée et suspendue dans le temps, achevée à contre coeur, à contre courant. Un goût amer persistait à la mémoire de ce qu'avait été leur relation. Emma observait silencieusement cet homme aux traits qu'elle aurait pu redessiner les yeux fermés mais qui, pourtant, lui semblait tellement inconnu aujourd'hui, comme si son âme à travers ses yeux reflétaient un tout autre homme. Il s'installa à sa table, sans vraiment prendre le temps de l'observer, regarder sans vraiment voir. Enfin leurs regards se croisaient et un tendre sourire prenait place sur ses lèvres. "Basil, ça fait longtemps." Soufflait-elle à son tour. Si chaque jour était compté depuis leur séparation, elle en avait finalement perdu le compte avec le temps, s'inscrivant dans un enchaînement de lendemain. Les mains jointes sur les tables, ses doigts jouaient nerveusement entre eux. "Je dois dire que tu n'as pas non plus changé. Peut-être juste les cheveux." Plaisantait-elle timidement en pointant du doigt la tignasse qu'il abordait désormais. A vrai dire, cela lui apportait un charme certain. Commençant le jeu de l'événement en lançant le dé afin d'évincer le blanc qui aurait pu s'immiscer, c'est à haute voix qu'il lu la question imposée. C'était étrange. Un sensation agréable mélangée à un mal aise. Aucun n'était en mesure d'avoir de secrets pour l'autre à l'époque, connaissant par coeur les pensées et le corps de l'autre. "Alors... Pour le livre, je dirai Dracula de Bram Stoker." Commençait-elle en réfléchissant un peu parmi la liste celui qui s'en démarquerait. "Pour le film, la trilogie du Seigneur des Anneaux. C'est indéniable." Lâchait-elle sans hésitation, y vouant un véritable culte. Quand elle n'était encore qu'une adolescente, elle s'était amusée à collection les figures de plomb à l'effigie des personnes ainsi que l'échiquier. Deux collections qu'elle n'a jamais terminé d'ailleurs. "Game of thrones pour la série et Don't stop me de Queen qui me met toujours de bonne humeur." Riait Emma en baissant le regard. Pour la première fois depuis longtemps, la demoiselle ne savait plus trop où se mettre et ne savait pas non plus comment se comporter. Débordante d'assurance en tant normal, c'est fou l'influence et le pouvoir de certaine personne. A son tour, elle lançait le dé pour lui donner une question.