et puis se brûler (naofel)

embrasser le garçon
sur la bouche
et puis se mouiller;
l'emmener dans le fond
du couloir
et puis se brûler.

vingt-deux heures. ça ne t'étonnes même pas du brun, un horaire pareil. à cette heure-là, la plupart des gens qui ont un job normaux ne sont pas loin d'aller au lit, traînant des pieds, râlant de devoir se traîner au boulot le lendemain matin, comme tout les jours, dans cette routine des plus ennuyante.
c'est aussi pour ça que t'aimes ton job, pour tes horaires jamais identiques, pour les jours de repos bien mérités au beau milieu d'une semaine - un peu comme ce soir - et pour la diversité qu'offre ton job. t'es pas là, planté devant un ordinateur, à te cramer la rétine avant l'heure. c'est tout simplement pas ton truc, il faut l'avouer. (et tant mieux si ça peut l'être pour les jeunes).

soupir au bord des lippes, tu te gares non loin du bar. venir en voiture, c'est aussi une excuse pour ne pas trop boire, parce que tu te souviens encore très bien de ce qu'il a pu se passer la dernière fois que tu as un peu trop bu, en compagnie de naofel. ouais, tu t'en souviens bien, et c'est tout aussi troublant que ça puisse être agréable, quand tu y repenses. tu te pinces les lèvres, secoues la tête, éloignant quelque peu ses pensées de ton esprit.

(tu aimerais pourtant pouvoir y penser sans te poser trop de questions,
sans te demander comment, en plus de quarante années de vie,
t'as bien pu passer à côté de ça, passer à côté d'une véritable partie de toi.)

tu passes la porte du bar, ton regard voyageant un instant dans la salle. et le petit brun, tu ne tardes pas à le repérer, installé à une table. tu glisses une main dans tes cheveux, les ramenant en arrière et retenant un petit soupir. tu esquisses un sourire, t'approchant un peu. bonsoir. tu souffles au plus jeune, venant le saluer, un sourire sur les lèvres. t'es heureux de le revoir, même si ça fait plusieurs mois, même si c'était un peu étrange, la dernière fois. tu t'en fiches. (t'as envie de réussir à le faire.) comment tu vas ? tu demandes ensuite.

Voilà des mois qu'il se noie, pour ne pas, ne plus y penser.
Timaé.
Leur dernière rencontre, Naofel l'a enfermé dans un coin de son esprit à double tour, de peur d'y songer, de s'y perdre, de s'inquiéter.
Jusqu'à aujourd'hui.
À cause d'une pauvre journée pourris.
Le client du jour était infect. Il avait, l'égo surdimensionné et le talent à zéro mais il a fallut faire avec. Parce qu'il était seul Fel, sans personne pour l'épauler. C'est dans ces moments-là que l'hôpital crée le manque et avec en ligne de mire, les yeux clairs de l'infirmier.  
Ce n'était pas plus beau avant, seulement différent. Différent de tout ce qu'il a maintenant.
Fel est rentré l'esprit brumeux. il se souvient souvient de son corps branlant s'échouant sur le cuir du canapé puis de l'écran de son téléphone, bloqué sur une liste interminable de contacts à la lettre T.
T.
Pour Timaé.
Noafel n'a jamais été quelqu'un de particulièrement patient. Ni très réfléchis. Ce qu'il pense, il le fait, ce qu'il veut, il le prend. C'est comme ça pour tout. La musique, les gens. Surtout les gens. Qu'ils soient immuables ou simple passants. Alors ce SMS, il l'a envoyé avec l'assurance de s'être vus tout juste hier et non pas il y a des mois et des mois de ça. Depuis il tourne en rond, se bouffe les doigts. Fel, il c'est déjà changé six fois, recoiffé trois. Seulement pour gagner un peu de temps.
Pourquoi est-ce qu'il angoisse, déjà ?
Ah, oui.
Parce qu'il est jeune, jeune, con et qu'il a dans la tête des années de crush adolescent.
21h40.
Fel se lève, enfile une écharpe – la sienne cette fois – un manteau et ferme la porte derrière lui. Les filles ne sont pas là. Il prend le temps de coller un post-it près de l'entrée, pour les prévenir et ne pas les inquiéter puis brave le froid.
Ce qu'il peut détester l’hiver, le givre, la neige, les -8 degrés. Le trajet, le musicien le fait à pied. Il se fume une, deux cigarettes et collecte les mégots dans ce cendar qu'il trimballe tel un trésor. Chaque regard qu'il pose dessus le ramène à Arnaud et penser à Arnaud le ramène aux prochains jours, aux prochains semaines.
Alors il se dit que ce soir, tout ira bien. Puisque demain.
Dans le bar, l'atmosphère est nettement plus chaleureuse. En habitué, Fel prend le temps de discuter avec le barman puis part se poser, loin des regards et donc, des oreilles indiscrètes. Il attend.
Son verre, celui qu'il vient tout juste de commander est déjà bien entamé lorsque le brun aperçoit la silhouette de Timaé.
Il sourit, toutes appréhensions effacés.
- Allo toi, ça faisait longtemps. Un peu trop peut-être. Il pointe d'un mouvement de doigts la chaise en face de lui et porte son verre à ses lèvres pour ne pas répondre immédiatement à sa question. Anodine mais piquante. Je sais pas, à toi de me le dire. J'ai l'air d'aller comment ? Il doit bien le savoir lui, après des années de plaintes et de blabla incessant. S'il est bien, passionné, à deux doigts de s'écrouler.
Enfin bon.
- La journée a été longue mais maintenant, je vais bien. Toi, ça va ? Il se penche un peu, affiche un léger rictus. T'as ton planning ? Qu'il demande avec l'excitation d'un enfant.

naofel. tu t'souviens encore de cet adolescent que t'as rencontré un peu au hasard, dans le salon de davis, alors que tu venais rendre visite à ta filleule et à son père. tu esquisses un faible sourire.
tu n'aurais pas pensé le recroiser quelque temps plus tard, dans les couloirs des urgences.
(et tu n’imaginais pas non plus partager une nuit à ses côtés.
mais après tout, pourquoi pas ?)

ce rendez-vous, ce verre, tu le prends comme il vient. comme ça, sans trop de zèle, sans trop te prendre la tête non plus. tu es content de pouvoir échanger quelques mots avec le brun. après tout, plusieurs mois se sont écoulés, ces derniers temps. et ça passe vite, quand on n'y fait pas attention.
tu n'y as pas fait attention.
et c'est passé bien trop vite, quand y prends le temps d'y penser.

allo toi, ça faisait longtemps. tu esquisses un sourire et hoches la tête. sans doute un peu trop longtemps d'ailleurs. tu essayes de prendre des nouvelles de nao, mais ça a l'air mal barré pour ce soir. (tu t'en fiches bien). je sais pas, à toi de me le dire. j'ai l'air d'aller comment ? tu l'observes de longues secondes, esquissant un sourire, haussant les épaules. comme d'habitude. tu souffles dans un rire, glissant une main dans tes mèches brunes, pour les éloigner un peu de ton front. il n'y a plus vraiment de comme d'habitude ces derniers temps.
tu laisses un serveur s'approcher, commande un verre. un simple verre alcoolisé pour commencer la soirée. sans doute un second un peu plus tard.
mais pas trop non plus.
t'aimes pas ça, être totalement saoul et bourré. ne plus savoir ou tu te trouves. mais il faut avouer que l'alcool, c'est bien pratique de temps à autre.
(pour briser les tabous)

la journée a été longue mais maintenant, je vais bien. toi, ça va ? t'as ton planning ? tu esquisses un sourire et te contentes de hausser les épaules. vaguement. ne répondant volontairement pas à sa question pour le moment. je vais bien aussi. tu commences par répondre.
tu observes naofel de longues secondes encore, avant de sortir une feuille de ta poche et de la déplier, la lui tendant aussi. le voilà, mon planning. tu souffles avec un sourire, le brun sans doute un peu trop impatient de le voir. tu n'en sais trop rien en réalité. mon nouveau roulement. du coup, j'ai recommencé à faire des nuits. tu avais arrêté quand tes deux gamins étaient entrés dans des classes ou ils n'avaient plus constamment besoin d'être surveillés. mais t'en sais trop rien, sans doute que t'aimes un peu trop bosser la nuit. tu t'y plais bien, en tout cas. essaye même pas de trouver quelque chose à redire, il est définitif pour les prochains mois. tu ajoutes finalement, dans un rire, prenant les devants.

Ses mains sont encore moites mais le voir, en face et de ses propres yeux change bien des choses : le fait de constater que justement, rien n'a changé - rien qui ne se voit pas -
Ses yeux sont bleu, son sourire tendre. A trop le regarder, Fel se souvient le temps de quelques secondes du pourquoi l'adolescent qu'il était est tombé sous son joug.
Du pourquoi, le trop plein d'alcool l'a fait tombé une seconde fois.
Sous son regard le brun se penche un peu, plisse un instant les yeux. La réponse qu'il attend survient à peine plus tard, elle lui décroche un sourire puis rapidement un léger éclat de rire.
Comme d'habitude.
Ah c'est bien ça le problème, voilà des mois qu'il n'y a plus d'habitudes. Pour lui, pour eux et le reste du monde. Sa nouvelle "routine" consiste à observer avec détermination le naufrage de ses rêves, de ses convictions. Mais ça, Tim ne peut pas le savoir. Il ne saura pas, ni ce soir, ni jamais.
Pour quoi faire, le décevoir ?
C'est une nouvelle vie qu'ils ont fêter il y a des mois de ça, pas une agonie.
- J'aurais aimé, qu'il glisse doucement tendis que son rire s'éteint. Pour lui, le sujet est déjà clos. Tout ce qu'il attends à présent, c'est ce planning aux heures sup étourdissant. L'adulte fait durer le plaisir. D'un petit mouvement de main, Fel balai ce ça va qui ne sert qu'à gagner du temps, pas agacé pour autant.
Peut-être que ça lui manquait un petit peu, de partager ce genre de moment.
- Enfin, je m'impatientais, il dit, tout en attrapant le saint-graal entre ses doigts. Son regard balai les heures, constate tout les changements. Effectivement tout a changé, les jours, l'astre en dehors.
Rien n'est pas pareil.
Planqué derrière son planning, Naofel remonte légèrement son visage, juste assez pour dévoiler son regard. - De ? comment ? moi ? je n'ai encore rien dis. Il est outré, faussement outré. - Je constate juste que mon départ t'as chamboulé. C'est une blague, plus qu'un blâme mais il a comme un arrière goût dans la bouche. Des relents sans doute de son appréhension. - Enfin bon j'ai compris. je n'ai pas à critiquer. Je me tais. Contre ses lèvres, le brun signe une fermeture.
Puis plus rien.
Un silence apaisant l'enveloppe pendant quelques secondes. Naofel profite du brouhaha, de la musique et des verres s'entre-choquant, dont le sien qu'il vide d'une nouvelle gorgée.
Il se lance,
- Ça fait du bien de te revoir Timaé. En tout bien tout honneur.
et sans arrière pensées.

fel, tu ne sais pas réellement pourquoi vous avez semblé vous éloigner ces derniers temps.
depuis cette nuit.
cette fameuse nuit, partagée à deux,
pour y froisser des draps.
ça te fait plaisir de le revoir, le brun, le jeune. tu esquisses un petit sourire, et il te demande comment toi, tu penses qu'il va. tu hausses les épaules un instant, l'observant quelques secondes. tu n'en sais rien, toi, de comment il va. bien, mal, peut-être un peu moins bien ou un peu moins mal. tu te pinces les lèvres, ne te mouilles pas, préférant te contenter d'un simple comme d'habitude. tu te mords l'intérieur de la joue un instant. j'aurais aimé.
tu fronces un peu les sourcils, préfères ne pas poser plus de questions, voyant bien que le brun ne préfère pas s'étendre là-dessus.
tu préfères lui tendre ton planning, au brun. tu te mords l'intérieur de la joue et soupires faiblement en glissant une main dans tes cheveux. enfin, je m'impatientais. un petit rire manque de t'échapper, et tu te contentes d'un tendre sourire. de ? comment ? moi ? je n'ai encore rien dis. je constate juste que mon départ t'as chamboulé. tu hausses un peu les épaules face au jeune homme, esquisses un sourire. beaucoup de choses ont tout chamboulées. tu te contentes de répondre, ne voulant pas qu'il se sente capable de quoi que ce soit, ni du changement de tes horaires. tu veux sans doute un peu le rassurer le brun, tu l'aimes bien, t'as pas envie qu'il pense des choses pas forcément vraies. enfin bon j'ai compris. je n'ai pas à critiquer. je me tais. un petit rire t'échappe. tu peux toujours critiquer, mais je peux pas vraiment changer mes horaires quoi. tu esquisses un sourire, haussant un peu les épaules.
le silence retombe, apaisant, tandis que tu viens boire une gorgée dans ton verre, fermant les yeux un court instant.
un petit souffle s'échappe de tes lèvres.
ça fait du bien te revoir timaé. tu relèves un peu la tête, esquisses un sourire. ouais, ça fait du bien. tu te contentes d'approuver ses mots, te mordant l'intérieur de la joue. je suis désolé de ne pas avoir donné plus de nouvelles. tu souffles simplement face au jeune homme. parce que tu n'as pas tellement d'explications à lui donner.

Son regard s'accroche aux alentours. Naofel se perd, sur la salle clairsemé, les pint de bières et la pléiade d'étudiants, assis quelques tables plus loin. Il écoute d'une oreille discrète leurs conversations, décroches aux premiers kant, Nietzsche et aristote qu'il rencontre. ces jeunes qui bouillonnent d'éloquence, c'est tout ce qu'il n'est pas.
Tout ce qu'il a oublié d'être en venant ici.
Son SMS, Naofel l'a envoyé avec la certitude d'obtenir des réponses à ses questions mais le voilà, à parler de planning et d'hôpital comme s'ils s'étaient quitté hier. C'est une peut-être une bonne chose dans le fond, de passer aussi vite à autre chose, de l'ignorer même. Cette nuit qui ne compte pas tellement -  ou plutôt, qui ne trouve une place que dans l'anarchie de ses tourments. -
Le musicien décroche un sourire, beaucoup de choses ont tout chamboulés, qu'il dit. Ce tu n'y es pour rien silencieux, Naofel l'attrape au vol même s'il le fantasme sans doute un peu.
Il fini son verre, en commande un autre. Un mélange moins obscure cette fois-ci. Peut-être, peut-être un whisky-coca pour se donner du courage tout en restant sur terre. Je peux critiquer ? Ses yeux clairs plongent à nouveau dans ceux beaucoup plus bleu de l'infirmier. Dans ce cas...quand est-ce que tu vis, Timaé ?
Sa réponse, Fel la devine un peu.
Son boulot, c'est sa vie.
Sa famille, aussi.
Donc, il vit déjà.
Et pourtant le brun rêve, d'un monde où l'infirmier s'abandonne avec autant de légèreté qu'entre ses draps.
Quelle étrange chimère.
Je suis désolé de ne pas avoir donné plus de nouvelles. Un serveur s'approche de leurs table et y dépose son second verre. Naofel profite de l'interruption comme d'une accalmie, passe une main dans ses cheveux pour tenter de dégager son front, ses yeux.
Il ne sait pas quoi dire.
Ou plutôt ne sait pas, ce qu'il devrait dire et garder pour lui.
J'imagine que je suis désolé aussi. il souffle, tendis que son esprit retrace le cheminement de ces derniers mois, ces dernières semaine. Fel repense à toutes ces fois  où il a tenté d'envoyer un message sans en trouver le courage. J'aimerais te dire que j'étais trop occupé pour te recontacter mais c'est faux. C'est juste que...j'sais pas, j'avais honte tu vois ? Sa jambe s'agite un peu. Naofel cherche ses mots, ses mots qu'il a ressassé cent fois. ceux-là même qu'il ne retrouve pas. Je suis désolé pour l'autre soir. J'imagine que ma moralité en la matière s'arrête à toi. si j'avais su, pour ces neuf mois de silences, je t'aurais dis non, crois-moi.

c'est le bordel dans ta tête.
c'est même l'anarchie quand tu penses réellement à ce qu'il a pu se passer avec naofel.
quand tu penses à toutes ces années.
gâchées.
envolées.
et pourtant t'as deux beaux garçons que tu ne regrettes pour rien au monde.
deux fils que t'es prêt à aider jusqu'à ton dernier souffler.
à aimer, chérir.
et pourtant.
si t'avais été un peu moins con.
si tu t'étais autorisé à laisser tes fantasmes s'exprimer un peu plus, si t'avais arrêté de te répéter que t'es censé être l'exemple pour tes frangins.
(avec des si on met paris en bouteilles).
foutue allégorie de l'amour, que tout le monde prône sans se poser de questions. un léger soupir t'échappe. tu cogites, tu cogites, et ça s'agite dans ton crâne. t'aurais aimé croire à une hallucination. la première fois, la deuxième fois, les fois suivantes ont été cruelles à accepter. t'as fais preuve de résilience, t'as essayé de te poser et de faire le point.
mais t'es de retour au point de départ face au jeune homme.

tu l'observes de longues secondes, alors qu'il semble se passionner pour ton nouveau planning. je peux critiquer ? dans ce cas...quand est-ce que tu vis, timaé ? un rire t'échappe, sincère. tu hausses les épaules. tu sais bien que je vis pour mon boulot. tu souffles finalement. t'en es conscient, et tu sais que ça a sans doute miné un peu plus ta relation avec ton ex. mais ce n'est que la douloureuse vérité. tu passes ta vie à l'hôpital.
à jongler entre petit bobo sans gravité qui ne nécessite qu'un pansement et un bisou magique pour les enfants au maladroit qui a réussit à se couper avec un sécateur en jardinant. des anecdotes, t'en as plein. du mec passionné d'haltérophilie qui se retrouvé avec le dos bloqué à cause de faux-mouvements au cas plus grave impliquant une femme souffrant de thyroïdite et ayant de violentes détresses respiratoires.
mais c'est ça les urgences, c'est voir tout et n'importe quoi. c'est voir des jeunes femmes en pleine périnatalité totalement paniquées par des contractions inopinées.  sans oublier des péripatéticiennes (parce que dire pute c'est pas correct pour un soignant. t'es pas censé juger tes patients. ni leur origines, ni leur métier. rien.) qui veulent un test de dépistage. en pleine nuit. aux urgences, donc.
enfin bref, des trucs étranges, t'en as vu depuis tout l'temps.

et tout ça parce que t'es accro à ton job.
c'est triste à dire.

j'imagine que je suis désolé aussi. j'aimerais te dire que j'étais trop occupé pour te recontacter mais c'est faux. c'est juste que...j'sais pas, j'avais honte tu vois ? tu hoches la tête, un peu plus sérieux. et tu retiens un léger soupir, préférant venir boire une gorgée d'alcool dans ton verre. je suis désolé pour l'autre soir. j'imagine que ma moralité en la matière s'arrête à toi. si j'avais su, pour ces neuf mois de silences, je t'aurais dis non, crois-moi. tu fronces un peu les sourcils.
quelle moralité nao ? tu demandes dans un soupir. t'as vingt-deux ans, moi vingt de plus. si y'en a un de nous deux qui doit remettre sa moralité en jeu, c'est certainement pas toi. tu te contentes de souffler. tu glisses une main dans tes cheveux. j'aimerais que ce silence n'ait aucun rapport avec tout ça. tu ajoutes, tu dois être dans le palmarès du mec qui essaye de se trouver des excuses. c'est juste ... compliqué. très. tu te contentes d'ajouter.
trop compliqué.

tu sais bien que je vis pour mon boulot. il décroche un sourire, fais rouler son verre entre ses doigts.
ô oui, il le sait. fréquenter timaé, c'est aussi fréquenter son travail.
naofel s'en était rendu compte très vite, très tôt.  pas seulement parce qu'ils bossaient ensembles mais parce qu'il avait cet art d'avoir toujours la tête à l'hôpital, même en dehors.
c'est tristement beau. triste, pour tout ce qu'il a sacrifié. beau, pour cette passion qui anime sa rétine, fait vibrer son palpitant. fel aimerait avoir la même lorsqu'il se rend au studio, boire son travail comme on boit de l'eau mais il en est incapable et c'est pire que tout.  
au moins tu vis pour quelque chose. il lâche l'air de rien, tout en glissant le planning vers l'autre brun. vivre pour quelque chose, c'est déjà plus que ce les gens font. il pourrait presque le comprendre, lui qui respire pour ses rêves d'enfants. presque, puisque naofel y songe seulement.
tout doucement, la conversation dérive, avec la nuit, l'ambiance, le brouhaha.
sans doute parce qu'il est fébrile, le musicien met les pieds dans le plat, pour comprendre, entamer la discussion qu'il attends depuis le début de ce tête-à-tête, depuis des mois.
mais tim, tim n'a pas l'air d'être prêt pour ça.
il soupire doucement, marmonne entre ses dents. laisse-donc mon âge tranquille. je te parle de ton taux d'alcool, pas de la retraite qui te guette. fel attrape son verre, descend deux trois gorgées de boisson. son soupire se noie dans se gorge, son agacement aussi.
compliqué ? son regard se perd sur ses doigts vernis qu'il gratte nerveusement. l'espace de quelques secondes, son esprit se focalise sur tout ce noir qu'il s'évertue à faire disparaître. je me suis fais un tas de films, tu sais ? j'ai cru...je sais pas... il soupire, claque ses mains contre ses cuisses. que tu me détestais, que j'avais profité de ton état. je veux dire, c'était presque logique pour moi...
parce qu'il l'a longtemps désiré.
qu'il a sincèrement cru l'aimer - et c'était peut-être, avec son innocence, son insouciance un peu vrai -
c'est compliqué ? je m'en doute tu sais mais je peux, je veux te comprendre.

au moins tu vis pour quelque chose. tu te fais songeur un instant. tu aimerais le contredire, lui dire qu'il y a aussi ta famille, qu'il y a tes frangins et tes enfants qui ont une place importante dans ta vie. et ils l'ont, cette place.
mais tu dois aussi avouer que t'as toujours eu tendance à passer un peu trop de temps à l'hôpital. pour fuir ce couple qui n'a sans doute jamais marché. soupir au bord des lèvres, tu fixes ton verre un instant, déjà à moitié vide. ou encore à moitié plein. tu sais pas si t'as envie d'être optimiste ou non. tu fermes les yeux un bref instant, une main glissant contre ton visage fatigué.
tiré par les années qui commencent à s'accumuler,
pas les heures de sommeil te manquant.

tu observes naofel de longues secondes. tu as du mal à le cerner, parfois. mèches brunes tombant sur son front, que tu as parfois envie de remettre en places. tu secoues un peu la tête, légèrement, de gauche à droite. laisse-donc mon âge tranquille. je te parle de ton taux d'alcool, pas de la retraite qui te guette. tu lèves les yeux au ciel, mi amusé, mi agacé, en réalité. ton pied vient tapoter le sol, bruit couvert par les discussions autour de vous.
oh par pitié, tu m'as jamais vu bourré. tu te contentes de souffler. ouais, complètement déchiré comme tu l'as pas souvent été dans ta vie, ayant bien trop rapidement le rôle d'un modèle à tenir. (et puis même, c'est pas ton truc de ne pas te rappeler de tes soirées.)

c'est compliqué, ouais. c'est le seul mot qui te vient à l'esprit. compliqué ? tu te pinces brièvement les lèvres, hoches la tête, venant boire une gorgée dans ton verre, observant le brun quelques secondes, mouvements frénétiques pour gratter le vernis ornant ses doigts.
tu viens de le remarquer.
oh, c'est joli. je me suis fais un tas de films, tu sais ? j'ai cru...je sais pas... que tu me détestais, que j'avais profité de ton état. je veux dire, c'était presque logique pour moi... tu te pinces les lèvres. un bref instant.
tu fronces un peu les sourcils.
t'as l'impression qu'il te manque un élément pour avoir toute l'histoire.
naofel, mets toi dans le crâne que j'étais quand même vachement consentant. tu te contentes de souffler. et que j'en avais vachement envie. pour une raison totalement inexpliquée. tu n'aurais sans doute pas du.
tu te mords l'intérieur de la joue un bref un instant, viens boire une nouvelle gorgée dans ton verre en cherchant tes mots, mais le plus jeune te devance. c'est compliqué ? je m'en doute tu sais mais je peux, je veux te comprendre. tu tournes un peu la tête, viens flanquer ton regard dans le sien, de longues secondes. trop longues sans doute. tu termines par hausser un peu les épaules. il faudrait que je me comprenne moi-même, pour ça. tu souffles simplement. et là-haut, au fond de ton crâne, ça s'échauffe, y'a trop de questions qui s’emmêlent. t'aimerais bien qu'on te file les réponses, mais y'a personne d'autre que toi qui peut le faire.

pendant quelques instants, son esprit se perd, des années en arrière. il repense à son adolescence et ces décisions qui l'ont mené sans nulle doute jusqu'à cet instant. il y a peu de choses en quel naofel croit mais il le sait, il en est persuadé, il n'y a pas de choix bénin. de ces après-midi dans le salon, à écouter du cab calloway avec son père en est ressorti ses premiers leçons de solfège et avec dans son sillage un coup de foudre fulgurant pour les instruments à vent. c'est pour toutes ces après-midi qu'il est parti il y a 5 ans de ça. parce qu'il est parti qu'il a accepté un emploi non-désiré. c'est finalement ce non-désir qui l'a poussé à s'enticher d'un infirmier.
désormais, moonglow ne résonne plus dans les enceintes mais il y a toujours son regard pour redessiner le visage de timaé.
naofel sait, par quel fait du hasard il en est venu à le rencontrer mais pas pourquoi, ni comment il a fini par s'y attacher. le musicien n'a jamais eu besoin d'y penser, c'était tendre, doux, un semblant de chaleur là il ne restait plus rien. fel s'y était perdu avec plaisir, puisque perdu d'avance. c'est sans doute ce qu'il regrette le plus de ses années d’insouciance :  cette possibilité d'aimer pour aimer, quelqu'un, quelque chose sans rien attendre en retour.
tout est compliqué maintenant: en témoigne ses questions pour une nuit qui ne devrait pas le torturer plus que de raisons. oh par pitié, tu m'as jamais vu bourré. dit-il. en réponse, fel se contente d'hausser les épaules, taisant toutes pensées. bourré, lui l'a été cent fois, au point de s'oublier, de se ridiculiser et de finir ses nuits dans des bras regretté.
naofel, mets toi dans le crâne que j'étais quand même vachement consentant. ça, le musicien l'a remarqué, mieux encore, il l'a senti mais ce n'est sans doute le moment de faire entendre ses espiègleries. je m'en doute tu sais mais je sais pas...je crois que j'avais besoin d'être rassuré. peut-être parce qu'au delà d'être consentant, j'en avais envie depuis longtemps mais ça, tu le sais déjà. il souffle, esquisse un léger rictus. c'est drôle parce qu'à l'accoutumé, fel préfère l'oublie. il prend toujours le temps de mettre les choses au clair, pour éviter toutes gênes le lendemain et c'est sans doute là son erreur : il aurait dû, il aurait pu faire le contraire.
un silence s'installe. ses yeux qui plongent dans les siens, naofel s'y noie mais ne s'en détourne pas.
ce qu'il aimerait entendre ses pensées.
pour l'aider à comprendre, l'ôter d'un poids mais ce n'est pas son rôle, il le sait. fel n'est même pas en droit d'entendre ses confidences. qui est-il après tout ? un ancien collègue ? un ami, tout au plus ? que valent ses 20 ans, face à ses tourments ? naofel l'observe encore quelques instants puis se penche sur la table, juste assez pour grignoter quelques centimètres. et que tu le veuilles, tu ne crois pas ?  il avale une nouvelle gorgée, profite de ce répit pour réorganiser ses pensées. ce fameux compliqué, le musicien en devine les contours mais pas la profondeur. il en serait bien incapable, lui qui ne vit que pour réaliser tout ce qui lui passe à l'esprit. je ne suis pas le mec le plus intelligent qui soit mais je me suis quand même rendu compte d'une chose: plus je fuis un problème, plus celui-ci grossi. c'est ainsi qu'on se retrouve à couper les ponts avec sa famille pour faire de la musique, alors que peut-être, peut-être qu'une discussion aurait suffit. tim, t'es peut-être le mec le plus doux que je connaisse. tu mérites mieux que ça.
même s'il n'a pas tout à fait conscience, de ce que ce "ça" signifie. fel, il a des yeux pour voir son air perdu et c'est déjà trop pour son palpitant

tu te pinces les lèvres un instant, ton regard se posant sur le brun quelques secondes de trop, sans doute. mais tu n'as pas envie de réfléchir à pourquoi, pourquoi est-ce que tes prunelles traînent de cette manière sur les angles de sa mâchoire.
je m'en doute tu sais mais je sais pas... je crois que j'avais besoin d'être rassuré. peut-être parce qu'au-delà d'être consentant, j'en avais envie depuis longtemps mais ça, tu le sais déjà. tu hoches doucement la tête à ses mots. tu es loin d'être aveugle, et tu avais bien remarqué depuis un temps l'intérêt que le brun pouvait te porter. est-ce que c'était réellement une bonne chose que de finalement coucher avec lui ?
(sans doute pas, mais c'était quand même très agréable.)
ton regard vient plonger dans les prunelles du jeune homme, ne les quittant pas pendant plusieurs instants. et tu termines par être honnête : il faudrait déjà que tu te comprennes toi-même, avant d'aider naofel à te comprendre. part compliquée de ta vie ces dernières années. tout qui te revient en tête, tout ces instants volés au temps, que tu t'es forcé oublié. vestiges d'une adolescence ou tu t'en plus ou moins forcé à ne pas te poser de questions. (parce que tu te devais d'être le modèle masculin dont avaient besoin tes frères. qu'à l'époque de tes dix-huit, dix-neuf ans, c'était pas franchement de bon goût que d'être attiré par des garçons). tu termines par fermer les yeux un instant. le brune se penche un peu, semble lire tes pensées. et que tu le veuilles, tu ne crois pas ?
je ne suis pas le mec le plus intelligent qui soit mais je me suis quand même rendu compte d'une chose: plus je fuis un problème, plus celui-ci grossi. tu hoches doucement la tête à ses mots, retenant un léger soupir. oui, sans doute. tu souffles simplement face au plus jeune, qui semble avoir les idées bien plus claires que toi. tu es moins bavard, soudainement. ça chauffe là-haut, et bordel, tu te serais bien passer de tout ça. et peut-être que finalement, ça s'apparente à un semblant de crise de la quarantaine. mais ce n'est pas si simple. après une vingtaine d'années de vie commune avec ophélia, non, ce n'est pas ce qu'il y a de plus évidemment.
un soupir t'échappe finalement, et tu secoues un peu la tête de gauche à droite. tim, t'es peut-être le mec le plus doux que je connaisse. tu mérites mieux que ça.
tu te contentes de hausser un peu les épaules.
ça, ce n'est peut-être pas si mal.
une famille, deux fils que t'aimes de tout ton cœur.
tu hausses les épaules face à naofel. ça paraît si simple quand tu le dis. tu souffles avec un petit sourire sur le coin des lèvres, quelque peu amusé par les mots du brun. oui, ça semble si facile, quand il le dit. et t'aimerais que ça le soit, pouvoir trouver un second souffle sans trop de mal.