fleeting anger (EMMA)

La nuit, dans ses heures les plus sombres, permettait à chacun de cacher ses faiblesses à l'intérieur de son obscurité. Dans la pénombre, les masques étaient plus compliqués à se briser et les vrais visages, difficiles à se dévoiler. Peut-être était-ce au final cette forme d'épanouissement qu'ils recherchaient tous, en plus de ces instants éphémères sans attaches. Sont-ils à prendre en pitié ou à envier ? Ces êtes qui approuvaient de succomber à des plaisirs charnels dans une parfaite insouciance, ceux-là même qui s'émancipaient de toutes conventions sociales. Emma les observait tous se valser à travers la foule, certains se collant à des corps réceptifs tandis que d'autres tentaient des approches inespérées. Elle, ce n'était pas dans son objectif de trouver quelqu'un avec qui terminer sa nuit, à l'inverse de ces vautours en chasse à la recherche d'une proie facile à attirer dans leur lit. En compagnie de son amie et colocataire, c'était surtout une soirée pour lui changer les idées, suite à la récente nouvelle du mariage de sa meilleure amie. Inconsciemment, la peur de perdre cet être si cher à son coeur faisait surface d'une manière inexpliquée. L'appréhension en réalité de perdre ses sourires, ses rires, ses anecdotes semblaient désormais si lointaines et inaccessibles. Comme si les choses étaient irréversibles avec un profond sentiment d’abandon.

Pour se changer les idées, sa colocataire avait insisté pour la traîner en boite ce soir là. A vrai dire, la demoiselle ne mit pas longtemps non plus à changer d'avis. Car après avoir engloutit pour dîner la moitié d'un pot de crème glacé, Emma se sentait d'humeur d'attaque pour braver les frontières de la mélancolie et la nostalgie. Autre raison : le froid de la glace lui est surement monté trop vite au cerveau, détruisant au passage quelques neurones mal avisés. Toutes deux assises au comptoir et quelque peu alcoolisées il est vrai, les verres et les shooter de vodka qui se sont succédés n'ont pourtant pas eu raison d'elles. Si bien qu'Emma s'est retrouvée rapidement emportée au milieu de la foule pour s'intégrer parmi ces mauvais danseurs. Fermant les yeux, son corps bougeait allègrement en fonction de la musique, les basses raisonnant à l'intérieur de son corps. Glissant les mains dans ses cheveux, elle les basculait en arrière espérant dégager un peu de la chaleur oppressante à sa peau. C'est alors que la demoiselle sentait deux mains rudes se frayer un chemin sur ses hanches, puis un torse se coller à son dos. Mal intentionné surement, elle cherchait à s'en écarter en vain, il la tirait à nouveau contre lui. Encore un boulet. Implorant son amie du regard pour y obtenir un peu d'aide, c'est alors qu'elle fut violemment écarté par une main sur son bras,  y enfonçant ses ongles. "Touches pas à mon mec, salope !" La poussait la fameuse copine. La situation absolument délicate. Les jurons sont-ils obligatoire dans ce genre de situation ? "Calme toi, c'est ton mec qui m'a accosté. Apprends-lui plutôt à ne pas sortir sa queue au moindre cul qui passe." Répliquait Emma dans un ton parfaitement calme. Un ton qui visiblement n'a pas plu à cette femme qui ne manqua pas de retourner une énorme claque. Le son raisonnait au alentour, y compris dans la tête de la blonde. Son sang ne fit qu'un tour, un sang bouillonnait indignation, de colère et d'alcool. Mais rien ne servait à utiliser la violence. En retour, elle la poussait assez fort pour qu'elle se retrouve le cul à terre. Se retournant vers son amie, elle lui fit signe de s'en aller. Mais il ne faut jamais tourner le dos à son ennemi. La femme se jetait de tout son poids sur elle et s'en suivit une bagarre de filles. La précision est importante. Car une bagarre de fille, c'est plutôt se tirer les cheveux, les baffes et les griffes. Un attroupement s'était formé autour pendant que sa colocataire essayait tant bien que mal à les séparer. Mais ce n'était pas le même cas pour un homme qui lui empoigna fermement le bras pour la dégager de là. Essoufflée, son regard provocateur auprès de l'autre femme restait toujours sur son visage. Emma ne se laissait pas démonter aussi facilement et bien qu'un filet de sang s'échappait du coin de sa bouche, l'autre aurait un oeil au beurre noir. Mais lorsqu'elle réalisa, au vue des ordres qu'il donnait aux autres videurs, que cet homme était le patron, son sourire s'effaçait aussitôt. Quel merdier...

Rapidement entraînée dans un somptueux bureau, sa supposition se confirmait alors. Un peu mal à l'aise néanmoins, Emma ne perdait tout de même pas la face. "Oh, juste une femme qui reste aveugle face à l'infidélité de son copain." S'exclamait-elle, exaspéré. Emma n'en revenait pas. Ce n'était pas la première fois qu'elle se battait. Mais c'était bien la première où elle en était la cause. Ceci s'était présenté qu'une seule fois au cours de sa vie et c'était pour défendre sa meilleure amie. "C'est comme si votre chien pissait sur votre lit, vous voyez ? Vous allez engueuler les draps ou le chien ?" Questionnait-elle alors que les nerfs lui remontaient à nouveau. Bordel, ça lui paraissait évident ! Respirant un grand coup, Emma tentait d'apaiser petit à petit son état. "Son mec est venu me coller, c'est tout. Un peu trop d'ailleurs. Et si je peux me permettre une suggestion, vos vigiles pourraient peut-être faire attention aux filles qui se font toucher sans consentement dans votre établissement. Mais bon, c'est un autre sujet." Croisait-elle les bras.

"Incapable de faire ce qu'ils font, vous dîtes ?" Répétait-elle, comme si elle avait mal entendu. Malgré le fait qu'elle soit piqué au vif par ses répliques sanglantes, la demoiselle gardait toujours un humour qui lui était propre. "Mais forcément ! Regardez leurs bras, c'est même pas la taille de mes cuisses." S'exclamait-elle en levant légèrement la jambe et pointant du doigts sa cuisse. D'autant plus que la demoiselle n'était pas vêtue vulgairement comme la plupart de ces femmes qui n'espèrent qu'une seule chose, à la limite du désespoir. Une décadence qu'elles se forgent elle-même, proie à l'auto-destruction. Un simple jean ainsi qu'un débardeur, voici ce que la blonde abordait sur son corps. Bien ce ne soit pas la période de l'année la plus appropriée pour se découvrir les bras, la température de la discothèque était assez élevée et à la limite de l’étouffement à cause du nombre de personnes qui s'y retrouvaient. Sa récente altercation n'avait qu'empiré la situation, bouillonnant son sang, c'est une bouffée de chaleur qui l'envahit. D'autant plus qu'Emma, légèrement éméchée, s'indignait face à la manière dont le propriétaire du Luxore lui parla. Comme si le fait qu'il possède les lieux lui donnait le droit de la traiter comme une moins que rien.

Loin d'avoir sa langue dans sa poche, l'alcool qui affluait dans son sang la rendait plus bavarde encore. "Et d'autres, peut être moins réactifs, auraient demandé si au moins j'allais bien. Mais à part ça..." Haussait-elle les épaules. Passant sa main dans ses cheveux, Emma tentait de remettre ses cheveux en arrière pour lui donner une allure moins détériorée. C'est en se pinçant les lèvres qu'un goût amer et désagréable venait à la rencontre de ses papilles. Le bout de ses doigts allaient à la rencontre de cet endroit. Un peu de sang vient se coller à sa peau, avant qu'il ne l'ordonne de s'asseoir pour ne pas abîmer sa moquette. Dans un soupire, son regard se leva au ciel avant de s'exécuter. Prenant un mouchoir, elle vint essuyer à l'aveugle ce qui s'introduisait clandestinement sur son visage.

"Oui, je veux bien. Pour me désinfecter la bouche." S'amusait-elle, abordant un sourire avant de poser ses doigts sur sa mâchoire endolorie. Une légère grimace atteint son visage. Même si elle s'était bien défendue, il n'est pas improbable qu'elle en ressorte avec des hématomes visibles le lendemain. "Je vais peut être prévenir ma coloc." Se souvenait-elle soudain d'Adaline. Restée surement avec les autres, elle avait tenté de les séparer sans succès. Attrapant son portable dans sa poche, Emma émit un léger mouvement de recul car l'écran fut légèrement flou à sa vision. "Adaline, t'es où la dedans.." Plissait-elle les yeux, à la recherche du nom de sa colocataire dans son répertoire de contact. Le fait de vivre ensemble ne la plaçait pas dans les favoris de sa liste, étant donné qu'elle avait juste à franchir la porte de sa chambre pour lui dire les choses. Une fois trouvée, elle tapait rapidement quelques mots : "dans le bureau du directeur, je t'expliquerai.

Croisant alors les bras, la demoiselle le regardait dans les yeux, légèrement satisfaite de lui avoir presque arraché un sourire à ses conneries mais ne se dégonflant pourtant pas d'un poil face à ses menaces sous-entendus. "Je ne suis qu'une pauvre femme qui s'est faite violemment attaquer par une attardée dans votre discothèque où la sécurité est, comme vous le faites remarquer, si optimale." Finissait-elle par expliquer, se victimisant au maximum. "Ce n'était que de la légitime défense." Concluait-elle. D'ailleurs, elle se remémorait un instant ses cours de droit où la responsabilité de l'établissement aurait pu être en jeu durant cet événement si elle le tournait bien à son avantage. Et oui, qui aurait pu croire que la demoiselle ait fait des études de droit avant de tout plaquer au dernier semestre de son diplôme ? Mais ce n'était pas non plus le but de créer des ennuis à quiconque. Cependant, un sourire en coin s'étirait sur le coin de ses lèvres, c'était plus fort qu'elle, comme un petit jeu, elle était obligé d'en remettre une couche comme pour le titiller davantage. "Donc, si je comprends bien, c'est vous qui préférez vous coller au rôle de baby-sitter ?" Questionnait-elle le plus innocemment possible en faisant une boule avec le mouchoir avant de le mettre dans la poubelle à côté du bureau beaucoup trop grand. Elle se demandait alors encore combien de temps ce petit jeu allait durer. S'il comptait porter plainte contre elle, lui casser la jambe pour lui servir de leçon ou tout simplement la laisser partir comme une voleuse.

Quand le jeune homme lui apporta son verre, elle le prit entre ses doigts. "Je vous remercie." S'empressait-elle d'ajouter sincèrement. Emma apportait la boisson à ses lèvres, le liquide parcourant alors ses gencives, elle crispait une nouvelle fois en sentant les picotements. Génial, je ne peux même plus me saouler pour oublier la douleur, pensait-elle alors. Elle observait alors avec une légère rancoeur le liquide présent dans le verre. Quand il prononça alors le nom de sa colocataire, le visage de la blonde se tournait vers lui, stupéfaite. "Et bien oui, c'est ma colocataire et une de mes meilleures amies à vrai dire. Vous la connaissez ?" Ajoutait-elle en déposant son téléphone portable sur le bureau, attendant le retour du message d'Adaline. Alors, quand il lui proposait de la glace, sa première réaction fût la suivante : "C'est vrai ? C'est si moche que ça ?" Elle posait alors sa main sur cet endroit spécifique comme pour le cacher. "Oui, je veux bien. Ca sera toujours ça." Finissait-elle par acquiescer.

Appuyant son dos contre le dossier de la chaise, la blonde prit une profonde inspiration en fermant les yeux, exaspérée par la situation. Ca avait beau l'amuser, ça va bien cinq minutes. Croisant les bras, elle le fixait droit dans les yeux à l'entente de l'adjectif "désespérée" de sa bouche. "Je pense être moins désespérée que certains qui ont l'air d'en vouloir à la terre entière. Au moins, je suis heureuse de ma vie, peux-tu en dire de même ?" Lâchait-elle sèchement. Un cas désespérée. Emma s'était toujours battue pour obtenir ce qu'elle désirait, pour garder sa part d'elle-même coûte que coûte. Ce n'est pas avec une cuillère en or dans la bouche ou sous une bonne étoile qu'elle est née. Et malgré l'absence d'un père, d'une part d'elle qui ignore qui elle est, la blonde est toujours restée fidèle à ses principes. Droite et forte en toutes circonstances, elle est fière de ce qu'elle est devenue, même si sa vie est quelque peu tumultueuse et instable. Elle reste fidèle à qui elle est.

A l'attente de son prénom, la demoiselle marqua un temps d'arrêt. Haussant un sourire, elle l'observait de haut en bas avec un sourire au coin des lèvres. "Tu es donc le meilleur ami d'Adaline." Ajoutait-elle. Voilà une rencontre forte intéressante. "J'aurai aimé faire ta connaissance dans d'autres circonstances. Mais au moins, pas de sourires hypocrites pour faire une bonne première impression, n'est-ce pas ?" S'exclamait-elle avant de claquer ses mains sur sa cuisse pour se lever et suivre ses recommandations pour la glace. Emma se dirigeait près du bar et ouvrit la porte du mini-frigo qui s'y trouvait. Dans un torchon, elle y enfermait quelques glaçons et déposait le tout contre sa lèvre. Au contact du froid, elle fermait les yeux en émettant un léger grognement. C'était désagréable mais inévitable. La température eut pour effet de lui remettre les idées en place instinctivement, comme une douche froide. "De quel état tu parles ? C'est juste quelques égratignures, je suis une guerrière. Dans une autre vie, je devais être une viking." Ajoutait-elle en lui faisant face. Elle le regardait en haussant les épaules à son questionnement sur sa façon de rentrée. "Je lui ai dis que j'étais dans ton bureau de toute façon." Terminait-elle sa réponse. Il n'était peut être qu'une question de temps avant que sa colocataire ne débarque dans le bureau, surtout si elle connaissait le propriétaire.