tout ce qu'on veut c'est être à la maison - bryne.

Sirène sur le toit, tu files à  toute vitesse dans les rues de Montréal. Ton pickup se faufile entre les voitures, et les habitants doivent surement penser à une urgence. Pour toi ça en est une. C’est certain. Si tu oses arriver en retard au repas du dimanche en famille, tu sais que ta mère va encore te dire quelque chose. En réalité c’est assez fréquent que tu manques les déjeuners ou que tu parles au milieu du repas. Le dimanche les crimes sont toujours là malheureusement. Mais ta mère serait capable de vérifier que tu sois bien au boulot et non en train de flemmarder. Ça t’arrive peu, mais ça t’arrive parfois. Surtout quand tu as pris des coups ou que tu as bossé 48h dans dormir. C’est ta vie.

En tout cas ton avantage de flic t’a fait gagner de précieuses minutes et te voilà donc devant la maison familiale. Ici tu t’y sens bien, tu ne crains pas le danger, enfin sauf peut-être une dispute avec l’un de tes frères. Mais tu aimes cette maison et ce qu’elle représente. C’est ici que tu te réfugies quand tu es sur une enquête trop stressante. Le jardin est tellement silencieux que ça t’aide à réfléchir. Et puis tu sais que tu partiras forcément avec un plat de ta mère, et ça, ça ne peut que te faire plaisir. Tu te gares le long du trottoir, tout en saluant deux trois voisins. Quand vous débarquez tous les dimanches, forcément ça se remarque. Tu rentres, comme chez toi. Tu enlèves ton blouson et ta mère débarque pour t’embrasser. Elle vous accueille toujours de la sorte, et toi ça te fait du bien. Elle ne sait jamais si tu seras là et si tu finiras le repas, alors dès qu’elle te voit elle te serre fort histoire de dire bonjour et au revoir. « Salut tout le monde ! » Tu ne sais pas très bien qui est là alors tu préfères lancer un bonjour général. Les odeurs qui émanent de la cuisine te donnent déjà tellement faim. Pour une fois tu espères que tu participeras au repas complet. Pourtant comme toujours ton esprit est encore ailleurs, et te voilà en train de checker tes mails et tes messages. Toujours la  tête dans le boulot. Tu espères juste que tu auras le temps de tout lire avant que ta mère ou l’un de tes frères ne t’enlèvent le téléphone des mains.

Bordel, il était encore à la bourre. Son réveil avait bel et bien sonné, à maintes reprises, mais il avait été difficile de sortir de son lit pour le brun. En cinq minutes, il avait enfilé quelques vêtements, s'était brossé et les dents et avait tambouriné contre la porte de la chambre de son colocataire. S'il devait se lever aussi tôt un dimanche matin, lui aussi. Des grognements et des insultes se faisaient entendre de l'autre côté alors que Jude se précipitait vers la porte d'entrée. Le repas du dimanche était sacré chez les Bryne. Interdiction de le louper, aucune excuse n'était acceptée par celle qui gérait la famille d'une main de maître. Sauf, partir à l'armée apparemment. Il faut croire que ça a ses avantages d'être le petit dernier. Jude n'avouerait jamais sa mauvaise foi. C'était juste que ses excuses à lui, la plupart du temps inventées, ne passaient jamais. Après un quart d'heure à rouler sur son vélo, une cigarette au coin des lèvres, il arrivait enfin devant la maison où ils avaient tous grandi. Un signe de main enjoué vers les voisins qui le regardaient balancer son vélo sur la pélouse, comme le ferait un enfant. Beaucoup étaient admiratifs de cette famille qui s'était soudée après le départ du paternel plutôt que d'imploser. Il se souvient, Jude, des regards tristes et perspicaces. Les rumeurs avaient vite circulées et on pensait que les enfants Bryne tourneraient mal. Une femme élevant seule cinq garçons. Au final, ce n'était pas le cas.

Il poussait violemment la porte d'entrée, à bout de souffle. Ses frères étaient déjà tous là, sauf Sam. Petite victoire personnelle : il n'était pas le dernier cette fois. « Salut, maman. » Il quittait sa veste et la posait sur le dossier d'une chaise avant de venir prendre sa mère dans ses bras et déposait un baiser sur sa tempe. « Et les autres. » ajoutait-il avec un geste vague de la main. Puis il adressait un léger sourire à ses frères avant de les prendre tour à tour dans ses bras. Tout était rassurant dans cette maison. Les odeurs, les visages, les photos. Même si la plupart du temps, il arrivait en retard, il ne louperait cette tradition pour rien au monde. « Bon, on est tous d'accord que Sam aura un gage vu qu'il est le dernier arrivé ? » lâchait-il en regardant en direction de la cuisine. Il mourait de faim.

bordel, mila ! que tu lances à ta belle argentine. la concernée ne s'embête pas d'un dernier regard avant de rejoindre l'avenue principale et d'y disparaitre. il n'a fallu qu'un mot plus haut que l'autre pour la faire sortir de ses gonds. c'est qu'elle a la sensibilité sujette à des caprices ces derniers temps. en unique responsable, tu te fais violence pour ne pas le lui reprocher. ton poing s'abat sur le toit de la voiture tandis que tes yeux se posent sur le siège-bébé attaché sur la banquette arrière. dans sa colère, ton argentina en a oublié le précieux colis. un nouveau juron s'échappe de tes lèvres. tu t'es jamais retrouvé seul avec lui. y'avait toujours mila, ta mère ou n'importe quels autres bras pour s'en occuper à ta place. plusieurs autres secondes passent lorsque tu décides finalement de regagner l'espace confiné du véhicule. ta mère n'habite pas loin de chez vous mais t'as les bras bien trop chargés d'affaires de bébé pour t'y trainer à pied. dans ton malheurs, bébé dort à l'arrière. le stress en place, tu démarres la voiture.

il ne te faut pas longtemps pour gagner l'allée de garage de la demeure familiale. siège de votre enfance à tous les cinq. la familiarité de l'endroit n'apaise pas tes maux. ni le noeud dans la gorge quand tu te penches pour libérer le nid de bébé du véhicule. même aujourd'hui, un mois après ton retour, tu lui refuses encore tout contact physique. infichu de tenir ton propre fils dans tes bras, tu te contentes d'une main agrippée à la anse de son transporteur. awh, mes bébés sont là. s'écrit ta mère, visée derrière la porte d'entrée. ses bras entourent ton cou dans une embrassade que tu résumes le plus rapidement possible. même avant guerre, tu n'étais déjà pas friand des démonstrations affectives. l'après-guerre n'aura fait qu'en renforcer l'effet. délaissée de son dernier rejeton, l'attention de ta mère se tourne vers ta marmaille posée au sol. tu ne te fais pas prier et les abandonne aussitôt pour rejoindre le salon. au son de leurs voix, tu sais tes frères déjà présents. dites-moi que maman n'a pas caché l'alcool fort. l'interrogation sert de salutation. et sans en attendre la réponse, tu t'engouffres déjà dans la cuisine à la recherche du nectar salvateur.

tu profites de ce petit moment de calme avant l'arrivée du reste de la fratrie. un soupir glisse sur tes lèvres, et tu aides ta mère à finaliser quelques détails pour le repas. tu te mords l'intérieur de la joue.
noah arrive, suivit de jay, toujours accroché à son téléphone. tu viens saluer tes deux frangins, leur offrant une accolade, avant d’accueillir jude, le souffle au bord des lèvres. un petit rire t'échappe, et tu viens le saluer à son tour. j'suis sûr t'as couru juste pour arriver avant lui. tu souffles à ton cadet avec un petit sourire au coin des lèvres, haussant vaguement les épaules. en parlant de sam, il ne tarde pas non plus à faire son arrivée. de quoi éviter à votre mère une crise de nerf pour son retard. tu retiens un léger soupir, l'observant entrer dans la maison, seul, ou presque. accompagné de son fils, qui semble dormir dans son cosy.

tu restes silencieux, mais tu n'perds pas une miette des gestes de ton plus jeune frère, son attitude. votre mère récupère avec joie son petit-fils dans les bras, le berçant tendrement. tu salues sam, ne t'attardant pas, conscient qu'il n'apprécie pas les contacts physiques prolongés. aucune idée, mais j'suis pas contre. tu souffles avec un petit sourire. t'as pas envie de te prendre la tête, t'as pas envie de lui faire reproches comme ça, devant tout le monde. tu t'approches un peu de ta mère, souriant face à ton neveu, caressant sa joue du bout des doigts. t'as toujours aimé ça, toi, les enfants. et t'aurais pas rechigner à une famille plus nombreuse, si c'était pas aussi étrange cette relation que t'as mené tout du long avec la mère de tes garçons. un soupir t'échappe à cette pensée. mila n'est pas venue ? tu demandes finalement, ne te doutant pas de la pente glissante sur laquelle tu t'engages. tu veux juste prendre des nouvelles. tu glisses une main dans tes cheveux. on peut boire un coup maintenant que tout le monde est là ? tu proposes avec un petit sourire, avisant ta mère, ne pouvant t'empêcher de rire en la voyant lever les yeux au ciel.

Finalement c’est ton petit frère le dernier arrivé. Un air plutôt grave sur le visage, avec son bébé mais sans sa femme. Ça te fait mal de voir Sam dans cet état, et tu aimerais que les choses changent. Qu’il change. Même si tu ne fais pas partie de l’armée, ton quotidien c’est aussi les balles, les grenades parfois, les explosions, et tu sais que ça peut vite devenir traumatisant. Pas autant que Sam évidemment, mais tu sais que le seul moyen de s’en sortir c’est de prendre le dessus sur l’horreur du quotidien. Alors Sam tu ne le prends pas avec des pincettes, et contrairement à tes frères qui essayent avec la manière douce, toi tu le prends avec la manière forte. Pas question de le victimiser. Tu préfères cependant laisser faire  tes frères pour la partie bébé/femme, toi dans ce domaine c’est le néant. Les bébés tu ne sais même pas quoi en faire, et les femmes, bah c’est la même chose. Tu fuis quand ça devient sérieux. Tu observes ta mère qui embrasse ton frère et celui-ci qui se met  à la recherche de l’alcool. Observer c’est ta manière de pouvoir ensuite agir. Tu ne bouges même pas pour voir ton neveu. Tu es loin d’être gaga devant eux. Tu te contentes de les voir aux repas de famille, et tu attends qu’ils soient grands pour faire des choses d’adulte avec eux. Aller voir un match, jouer à la console, bref l’oncle cool, sans prise de tête, avec une forte préférence pour les enfants qui ne sont plus en âge de chouiner. Ton grand frère propose de boire, histoire de détendre l’atmosphère. En voilà une bonne idée. Tu te lèves d’un bond, lâchant ton téléphone. « Je vais chercher les verres. » Tu files dans la cuisine, ta mère s’attarde déjà à la réalisation d’un plateau apéro. « Je vais le faire maman. Va profiter de ton petit fils. » Tu sais que ça la pèse tout ça, alors tu veux au moins la soulager de cette tâche. Tu retournes dans le salon, le plateau dans les mains, avec les verres et des trucs à grignoter. Manger et boire adouciront peut-être les tensions.