Ça fait plusieurs années que tu vis dans ce loft, dans ce quartier. C'est ce que t'as réussi à te payer avec ton boulot de serveuse. Tu te disais que ce ne serait que pour un temps, mais finalement t'apprécies l'endroit, c'est chez toi. Au fil du temps, tu l'as décoré selon tes goûts; des peintures, des affiches de groupes aussi, qui démontrent à quel point t'es une passionnée de musique. Y'a ton piano, dans un coin du salon; pas un véritable piano à queue, mais quand même. Ouais, tu te dis qu'un jour peut-être; tu l'auras ton fameux piano à queue dans ta maison immense, avec ta grande cours à l'arrière. Pour l'instant, tu te contentes du loft et de son quartier. Y'a de cela deux mois environ, le proprio; un homme dans la soixantaine est débarqué pour te dire qu'il allait faire des rénovations dans la salle de bain; remplacer le carrelage surtout qui commence à être désuet. Tu ne vas pas te plaindre, surtout que c'est lui qui assume toutes les dépenses reliées à ces changements. Il t'as même parlé d'une date, mais bon; t'es tellement tête en l'air et pas toujours à tes affaires que t'as fini par oublier. T'es loin d'être du genre matinale, à vrai dire. Surtout qu'hier soir, tu as bossée sur le dernier quart de travail, donc t'es rentrée tard. Toutefois, étrangement le sommeil n'est pas venu comme tu l'aurais souhaité. T'as dormi d'un sommeil relativement léger et tu as fini par te décider à te lever, ne désirant plus jouer la girouette dans ton lit, plus longtemps. Comme à ton habitude, tu descends la petite escalier menant à la pièce ouverte donnant une vue sur le salon et la cuisine. Tu mets en vinyle en route et tu profites pour avaler quelque chose de léger avant de reprendre le chemin des escaliers et t'engouffrer dans ta salle de bain pour prendre une bonne douche chaude. Y'a toujours le vinyle qui joue, la musique semble être ton accompagnatrice dans tes moments solitaires, tu te dévêtis et te glisses sans attendre sous l'eau chaude. Ça t'apaises, ça te réveilles un peu aussi parce qu'il est tôt et que t'as pas l'habitude d'être une femme du matin, du moins hyper tôt comme ça. Tu laisses l'eau couler sur ton corps, tu profites de ce moment pour finalement te résoudre à t'étirer le bras pour t'emparer d'une serviette et sortir de ta douche vitrée. Tu relèves les yeux et tu croises avec étonnement le regard d'un autre individu, le regard d'un homme et tu pousses un cri, tu hurles littéralement. Ton corps sursaute et tu manques d'échapper ta serviette que tu rattrapes in extrémiste en essayant de te cacher, de te fondre dans le mur derrière toi. « Putain de merde, mais vous êtes qui?» Que tu gueules presque, comment a-t-il fait pour rentrer chez toi sans que tu entendes. Tu oses croiser son regard, t'as le cœur battant et ta cage thoracique qui s'abaisse et se lève, tu cherches ton air et tu remontes la serviette pour te cacher davantage, du moins tu essaies. T'as le regard noir, tu te sens violée dans ton intimité, t'es troublée en colère surtout. Ton regard se glisse sur son coffre à outils, tu fronces les sourcils, t'essaies de comprendre ce qui se passe exactement. C'est une mauvaise blague c'est ça?
Il est tôt, beaucoup trop tôt pour le commun des mortels. Pourtant ça ne m’empêche pas d’être coincé dans la circulation. Il faut dire que la rue Sherbrooke est toujours un souci avec ces multitudes feux de circulation et d’arrêt obligatoire. J’ai laissé mon véhicule personnel à l’un de nos entrepôts. Je préfère utiliser l’un des camions de la compagnie pour laquelle je bosse. C’est plus pratique quand je dois transporter de grandes quantités de céramiques. Si je dois bousiller la suspension, pas de problème, pourvu que cela ne soit pas celui de mon véhicule privé. Je baille à me décrocher la mâchoire tandis que j’immobilise une fois de plus le camion à un feu rouge. J’en profite pour consulter une fois de plus l’adresse qui m’a été fournie. Je dois me rendre sur le plateau. Je n’aime pas me rendre dans ce quartier, non pas que c’est rempli de bobos qui désirent changer le monde, mais bien, parce que, ce quartier n’est pas très « friendly » avec les voitures. Il y a pleins de sens uniques à vouloir s’arracher les cheveux de la tête à un point-elle de risquer de devenir chauve. Il y a des parcomètres partout et peu de place de stationnement. Mon patron m’a assuré que le propriétaire du bâtiment a accepté de me laisser garer mon véhicule à sa place de stationnement. De plus, il y a libéré un appartement non habité pour que je puisse faire mes coupes au chaud. C’est une chance, car il fait plutôt froid ces jours-y. Je vais pouvoir rentrer ma tranche à l’intérieur. Je finis par trouver l’adresse de mon client, après bien sûr avoir poussé quelques jurons bien sentis quand j’ai été confronté à des petits sens uniques. J’immobilise le camion à l’endroit indiqué pour ensuite sortir. Le froid mordant me fait durement oublier la chaleur réconfortante de la cabine que je viens de quitter. Le propriétaire a donné une clé du loft ou je dois faire le carrelage ainsi que la douche. Il nous a assuré avoir averti la locataire. C’est la phase démolition, mais pour plus de précautions, nous avons demandé à ce que la douche soit sèche depuis au moins 24 heures. Question de ne pas contaminer les murs par l’humidité. Même si je vais poser de la membrane pour rendre le tout étanche avant d’appliquer les carreaux. Il est tout de même préférable de ne pas tenter le diable de la moisissure. Je traîne avec moi mon coffre à outils ainsi que la masse. Je dois détruire avant de reconstruire. Je m’assure d’avoir le bon numéro de porte avant d’insérer la clé dans la serrure. J’ouvre la porte, j’entends de la musique provenant d’un tourne-disque. « Madame St-Clair ? » A-t-elle laissé la musique pour un animal de compagnie ? Pourtant, je ne vois aucune boule de poil à l’horizon. Un poisson rouge alors ? Shiloh, arrête de faire l’idiot. On m’a indiqué que la salle de bain se trouvait à l’étage. Je galère quelque peu avec mon coffre à outils dans les escaliers, mais j’arrive sur le palier sans trop de mal. Un peu essoufflé, mais rien de majeur. J’entends de l’eau couler. Je me dirige vers une porte close, je présume que c’est la salle de bain. Je dois avouer que frapper à la porte ne m’a pas traversé l’esprit. Je tourne la poignée et pousse la porte en douceur. L’humidité d’une bonne douche chaude me frappe au visage. Ah non ! Ce n’est pas vrai ! C’est quand mes yeux se posent sur une femme que mon cerveau décide de faire un court-circuit. Je viens de trouver Madame St-Clair. Elle ne m’a pas encore vu, mais moi j’en ai vu plus que je le devrais. J’hésite dans l’attitude à adopter. J’ai beau passer en vitesse tous les dénouements possibles et rien n’est en ma faveur. Ce n’est plus de temps de réagir, car elle pose ses yeux sur moi. « Ah…hmmm… » Aucun mot cohérent ne sort de ma bouche quand son hurlement vient vriller mes tympans. Je lâche tout pour tenter de protéger mes oreilles de cette voix de crécelle. Je remarque qu’elle a rattrapé de justesse sa serviette. Une bonne chose, car je n’ai nullement besoin de revoir son corps nu. Quoiqu’elle est loin d’être vilaine à regarder. « Putain de merde, mais vous êtes qui ? » Il me semble que c’est évident non ? Elle est au courant que je devais passer non ? Ah, moins qu’elle a oublié ? « Je suis Shiloh Bérubé, je suis celui qui va refaire votre… », je lui montre la salle de bain dans son ensemble. « Salle de bain. Votre propriétaire ne vous a pas mis au courant ? Il m’a donné une clé donc… » Il est possible que le vieil homme ait oublié dans ce cas, il risque d’avoir un appel peu agréable dans quelques minutes. Je réalise qu’il n’est nullement le temps des questions. On se retrouve dans une situation plus que gênante. « Quoiqu’il en soit, je crois qu’il est mieux que je vous laisse vous habiller. Je suis désolé madame St-Clair, de vous avoir effrayé. » Je commence doucement à fermer la porte. « Je vais vous attendre dans la cuisine. » Je referme la porte sans demander mon reste. Pour quel genre de mec vais-je passer ? Je laisse mon coffre d’outil ou il se trouve. Je ne vais pas me battre à le descendre à nouveau. Je gagne la cuisine rapidement, sans savoir ce qui risque d’arriver pour la suite.
Tu ne t'attendais pas à être dérangé dans ton moment de tranquillité. Ça se passe terriblement vite, ton corps sursaute alors que tu aperçois cet étranger dans ta salle de bain. Tu cris aussi, essayant de te camoufler comme tu le peux. L'envie de te fondre dans le mur derrière toi, si seulement c'était possible. C'est toi, qui finit par briser le silence après avoir encaisser le choc. Tu as le souffle court, t'as encore le myocarde qui bat à vive allure. Tu plonges tes prunelles dans les siennes et t'attends des réponses, des réponses qui ne tardent pas à venir; malgré le malaise palpable. Malaise que tu ne ressens pas, du moins pour le moment; puisque c'est l'incompréhension et la surprise qui sont les émotions principaux pour toi, actuellement. « Je suis Shiloh Bérubé, je suis celui qui va refaire votre… » Il te démontre ta pièce du regard et toi, sur le coup; tu regardes autour comme une pauvre idiote. « Salle de bain. Votre propriétaire ne vous a pas mis au courant ? Il m’a donné une clé donc… » Ça tourne à toute vitesse dans ton cerveau, probablement encore embrumé. Puis soudainement, tu te souviens de la discussion que tu as eu; quelque temps plus tôt avec ton propriétaire. Pourtant, aucun son ne sort de ta bouche, la colère et l'incompréhension s'estompent pour laisser place à un malaise grandissant, te rendant compte de la situation dans laquelle vous êtes. C'est comme si son malaise était venu à déteindre sur toi, pour le coup.«Quoiqu’il en soit, je crois qu’il est mieux que je vous laisse vous habiller. Je suis désolé madame St-Clair, de vous avoir effrayé. » Il se fond en excuse et toi, tu n'oses plus le regarder. Tu fixes un point imaginaire ailleurs, il vient à délaisser son coffre à outils dans la pièce et s'éclipse doucement, sans demander son reste. « Je vais vous attendre dans la cuisine. » Qu'il t'annonce après avoir refermé la porte pour te laisser seule. Cette foutue porte que tu fixes de longue secondes d'ailleurs. Puis, tu finis par tendre l'oreille et tu l'entends descendre les escaliers. Tu passes une main dans tes cheveux et tu souffles doucement. Tu te pinces les lèvres et ça te donnerais presque envie de rire tellement la situation est étrange et malaisante. Tu prends soin de bien maintenir ta serviette sur ton corps et tu ouvres la porte de la salle de bain pour prendre la direction de ta chambre, qui se trouve à être la pièce à côté et tu fouilles dans tes tiroirs pour trouver des vêtements descents et adéquats. Tu réalises que ton vinyle s'est arrêté. T'entends le son répétitif de l'aiguille du tourne-disque qui effectue un son de grincement, discret, mais présent. Finalement habillé correctement, tu viens à descendre les escaliers et tu te diriges sans un mot dans ton salon pour y retirer le vinyle. Tu tournes ton visage et tu l'aperçois qui t'attends sagement dans la cuisine, observant son environnement. Tu prends une légère inspiration pour te donner du courage et pour dissiper ce malaise que tu ressens toujours un peu. « Mon proprio me l'avait mentionné, mais j'ai dû oublier.» Que tu dis d'une voix légèrement maladroite alors que tu apparais dans la cuisine. À nouveau, y'a un silence qui s'installe entre vous; silence que tu essaies de dissiper en reprenant parole; « Allez-vous pouvoir travailler malgré que la pièce soit humide?» Tu ne t'y connais pas, mais probablement le fait que tu es prise ta douche n'aidera pas à la pose de la céramique. Tu viens à te pincer doucement les lèvres, tes prunelles foncées qui croisent les siennes un instant. Tu ne veux pas le retarder davantage dans son ouvrage. Du coup, tu désignes doucement l'étage d'un signe de tête et tu reprends sans oser le regarder cette fois-ci. « Vous pouvez y aller.» Tu viens à te demander s'il t'a vu nue, s'il a eut le temps d'apercevoir ta peau et surtout les cicatrices qui la parsèment. Détestant demeurer inactive bien longtemps, tu décides de mettre ta machine à café en route; après cette mésaventure, un peu de caféine dans ton organisme s'impose.