THEODORE LÉCUYER - thunderclouds.

Papa et maman, mes vrais parents, ils sont encore flous dans ma tête.  Je ne me rappelle plus de leurs visages ou de leurs voix, mais à c'qui paraît, c'est mieux comme ça.  J'suis né à Montréal, à l'hôpital Sainte-Justine comme la plupart des enfants francophones des environs dans les années 80-90.  Ma mère était une sale junkie depuis toujours et mon père, un alcoolique hyper violent.  Selon mes travailleurs sociaux, j'ai été retrouvé amaigri et avec un taux élevé de métamphétamines dans mon corps.  La joie.  Je n'avais que six ans.  J'étais qu'un enfant.  C'est l'école qui a tout dit à la direction de la protection de la jeunesse.  Du coup, j'ai commencé mon p'tit manège dans les dizaines et même les centaines de familles d'accueil.

Jusqu'à mes seize ans, c'était le bordel.  J'ai changé de famille au moins une douzaine de fois sans exagérer, j'ai tout simplement arrêté de compter.  La première famille n'était pas trop mal, à travers mes yeux d'enfants, je pensais avoir atteris dans ma future famille pour toujours.  Alors j'ai tout fait pour eux.  Au bout d'une année, ils m'ont jeté.  Je ne sais plus pourquoi.  Un jour, j'étais chez les Lareau et le lendemain, j'étais de retour dans un centre d'accueil.  C'était un nouveau choc et je crois que c'est là que mon sale caractère est sorti.  À partir de là, j'ai commencé à m'opposer à tout et très rapidement, j'avais découvert la combine parfaite pour retourner en centre.  Je préférais être là-bas, c'était plus simple.  Ils ne faisaient pas semblant de m'aimer, il étaient là en attendant qu'une famille veuille réellement de moi.  J'ai jonglé entre les familles et eux jusqu'à mes seize ans.

C'est à mes seize ans que tout a changé.  Les Dufour m'ont accueillit dans leur demeure comme si c'était la mienne.  Au départ, je me disais qu'ils allaient être comme tous les autres et je leur ai fais la vie dure.  J'ai séché les cours, coulé la plupart, fais le mur et défié leur autorité des centaines de fois... au moins.  Ils sont restés là, à me tenir tête et à me répéter qu'ils m'aimaient.  Qu'ils m'aimaient!  L'adolescent que j'étais pétait un câble à chaque fois qu'ils le répétaient et aujourd'hui, je m'en veux énormément.  Ils ont été sympas avec moi, même quand j'étais qu'un imbécile prenant pour acquis ce qu'on lui donnait.  Une année de pure merde pour eux a passée avant que je me calme et comprenne.  Ils m'aimaient, vraiment, et le réaliser m'a fait un bien fou.  Tout le poids sur mes épaules était parti et ça m'a permit de voir la vie sous un nouveau regard.  Fini la solitude et broyer du noir, j'avais enfin réussi à sortir de ma coquille.  J'étais même retourné à l'école, même si je n'avais pas obtenu mon diplôme.

À dix-sept ans, je rencontre cette fille.  Une belle grande blonde comme on les voit dans les films.  Au bout de quelques semaines à peine, on était déjà de très bons amis.  Et ça a été ça pendant plusieurs mois.  Nous sommes restés proches comme jamais jusqu'à la semaine de relâche.  C'est à ce moment que les choses ont évoluées et qu'on s'est embrassés.  C'était anodin, un petit baiser pendant les vacances et pourtant, ce baiser a tout changé.  On a fini ensemble et ça a été ma première petite amie.  J'en étais fou amoureux, mais c'était ma première.  Et on le sait tous, la première n'est jamais la plus parfaite.  Au bout de quelques mois, le souffle de passion avait fini par s'essoufler.  On se prenait la tête comme jamais et pourtant, je savais que mon coeur ne voulait que de l'amour de sa part.  On était trop jeunes peut-être.  Nous sommes allés au bal ensemble et un peu après mes vingt et un ans, on s'est séparés.  On avait vraiment essayé, mais ça ne marchait tout simplement plus.  Je travaillais de plus en plus souvent et on se voyait de moins en moins.  C'était plus simple comme ça il faut croire.  C'est après cette rupture que j'ai pensé à mes études, mais pour les obtenir, il fallait que je travaille encore plus fort pour faire un peu plus d'argent.  Le seul moment positif de cette époque fut mon adoption officielle.  J'ai gardé mon nom de naissance, Lécuyer, mais les Dufour étaient maintenant ma véritable famille.

Fraîchement célibataire et aucunement prêt à m'engager dans quoi que ce soit, j'ai fini par noyer ma peine dans le travail.  Il m'arrivait de travailler jusqu'à cinquante heures par semaine, mais au moins, à vingt-cinq ans, j'avais enfin rattrapé mon retard.  J'avais terminé mes études secondaires et je me lançais enfin dans le monde des véritables adultes: les études supérieures.  L'animation 3D était vraiment tout ce qui me passionnait.  J'avais envie de savoir comment tout ça fonctionnait et il faut croire que j'étais doué.  J'avais de très bonnes notes et mes parents adoptifs étaient tellement fiers.  Pour la première fois depuis que j'étais gosse, je savais ce que j'allais faire plus tard.  L'avenir ne semblait plus si incertain, je savais que j'allais faire quelque chose que j'aimais profondément, car oui, l'animation 3D est vite devenue une passion.  C'est dans ces mêmes années que j'ai commencé à fumer de l'herbe pour décompresser des grosses journées de travail.  À ce moment, c'était encore illégal, alors je fumais que chez moi, mais maintenant, je me permets un peu plus de liberté.

Puis c'était le deuxième amour de ma vie qui vint cogné à ma porte.  Magnifique comme elle l'avait toujours été, c'est à se demander si ce n'était pas le destin.  Rien ne nous rapprochait, nous n'avions aucuns points en communs, mais l'amour est venu nous avoir.  À vingt-neuf ans, j'aurais aimé avoir trouvé la perle rare.  On s'est emballé en quelque mois à peine, comme de véritables adolescents et on n'a pas été prudents.  On s'aimait tellement que ça nous écorchait à chaque fois qu'on se le disait, c'était atrocement beau.  Un magnifique paradoxe dans lequel on se sentait confortable, mais tout a explosé.  Elle m'a trompée avec mon frère adoptif au début de notre relation et elle n'a jamais eu le courage de me l'avouer, même si on est resté ensemble pendant un peu plus de deux ans.  Dès notre rupture, j'ai foutu le camp, j'ai découvert le monde, le véritable monde.  J'suis sorti de Montréal, ville dont j'ai longtemps cru qu'il s'agissait de mon monde.  Puis j'ai réalisé que mon monde se trouvera partout ou j'irai, peu importe ou j'irai et ce voyage m'a permis de découvrir une partie de moi que je ne connaissais pas.

Maintenant, en 2019, âgé de trente-deux ans, je dois avouer que c'est vrai, la vie a été vache avec moi, mais le monde en a bavé plus que moi.  Mon voyage à travers le monde m'aura servi à une chose: découvrir le véritable monde et pas celui dans lequel j'ai grandis.  Quand j'suis parti de Montréal, je pensais que toutes les filles étaient des garces qui trompaient sans arrêt.  C'était clair dans mon esprit et j'étais persuadé de ça.  Mais c'est l'ancienne époque ces pensées.  Maintenant, je vis en paix avec mon passé, c'est tout ce que j'ai à faire.  J'ai vidé mes comptes en banque en faisant le tour du monde et je reviens enfin en ville après sept mois à vagabonder dans des villes inconnues.  L'amour, ce n'est plus au plan.  Je me suis refroidis, endurcis et retrouvé par la même occasion.  Je suis peut-être plus explosif, mais j'en ai tout simplement marre de faire ce que tout le monde veut.  Je suis de retour à Montréal pour moi, mes intérêts et personne d'autre.  C'est le temps de prendre ma vie en main après tout ce temps... non?