Be free, be safe, be happy

« N’oubliez jamais qu’en vous protégeant, vous vous protégez vous-même en premier lieu, et votre partenaire ensuite. Parce que le respect, que ce soit pour un soir ou toute la vie, c’est la base d’une nuit réussie. »

Quelques jeunes gens se mirent à rire face à sa rime relativement pauvre. Leone sourit lui-même, préférant terminer sur une note amusante. De manière générale, lorsqu’il venait faire de la prévention, peu importe le public visé, il essayait toujours d’avoir un discours joyeux, sans renier les aspects plus sérieux de ses interventions. Il estimait simplement que pour faire tomber les barrières qui seraient immanquablement là en évoquant un sujet intime, l’humour restait la meilleure arme. Et puis, il en fallait pour clouer le bec des forts en gueule, ceux qui estimaient tout savoir et ne voyaient pas l’intérêt de ce type de séance. Généralement, c’étaient les premiers à dire qu’ils avaient un comportement « safe », qu’ils étaient « cleans » et autres bêtises. Et puis au fur et à mesure, ils commençaient à se remettre en question, s’interrogeant discrètement sur leurs comportements, pour finir par écouter, comme tous les autres. On avait beau être en 2019, la santé sexuelle restait un thème où les fausses informations demeuraient une norme encore trop souvent constatée. Sans parler des préjugés qui pouvaient avoir la vie dure …

« Des préservatifs internes et externes sont disponibles à la sortie. N’hésitez pas à vous servir. Et éclatez-vous ! »

Des rires résonnèrent à nouveau, quelques murmures indiquant qu’ils y comptaient bien, puis les étudiants ramassèrent leurs affaires et commencèrent à sortir. Avec satisfaction, Leone nota que la plupart piochaient allègrement dans les objets mis à leur disposition, certains s’étonnant même du choix. C’était un point sur lequel le jeune homme avait insisté en arrivant dans son association : la distribution gratuite ne suffisait pas. Il fallait aussi varier les textures, les goûts aussi … Bref, faire en sorte de répondre à tous les besoins, et également battre en brèche le stigmate de camelote associée parfois aux préservatifs gratuits. Une jeune fille vint lui poser une question discrètement, à laquelle le légiste tenta de répondre au mieux, finissant par lui donner gentiment la carte d’une gynécologue de l’hôpital des plus compétentes. Et enfin, la salle fut entièrement vidée de ses étudiants, le laissant seul avec l’infirmière de l’université. Avec un grand sourire, Leone se dirigea vers elle puis, l’air complice et taquin, il ajouta à son endroit :

« Tu peux garder le reste. Pour le laisser à disposition … ou pour piocher dedans. »

Il savait que Lucy ne s’offusquerait pas de sa petite plaisanterie, et pour cause : à force de se côtoyer, ils avaient fini par développer une relation sans fard. Qui eut crû, cependant, que le petit garçon à l’accent italien si fort et timide qui avait débarqué dans l’école où la Harper officiait plus de vingt ans auparavant aurait fini par tutoyer de la sorte la femme qui avait veillé sur lui, sur sa santé, pendant toutes ces années ? Sans doute pas lui. Mais les hasards de la vie leur avaient sans cesse permis de se recroiser, encore et encore, la maturité aidant pour sa part. Et maintenant, ils étaient là, à se parler d’égal à égal, entre adultes œuvrant dans le même champ, et pour une cause qui leur semblait importante. La vie avait ses ironies.

« Tu as le temps pour un café avant que je ne parte ? Je suis convoqué au tribunal à 19h, mais je n’ai rien à faire de particulier d’ici-là, et je ne me vois pas faire l’aller-retour entre l’hôpital et le tribunal … »

En tant qu'infirmière scolaire, Lucy a toujours fait beaucoup de prévention. Elle ne compte plus le nombre de gamines qui viennent la voir en panique après un oubli de pilule ou une capote qui a craquée. La pilule du lendemain leur semble toujours être la bonne solution. Et même si elle sait que pour certaines, ce n'est que mensonge, elle leur donne quand même. Pour certaines, c'est leur seul moyen de contraception. Elle a beau leur parler de maladies sexuellement transmissibles, ça semble leur passer au dessus la tête. Elle comprends. Elle a été jeune elle aussi. On se pense invincible à cet âge là. Rien de grave ne peut nous arriver. Ça n'arrive qu'aux autres. C'est ce que tout les jeunes pensent. Malheureusement c'est faux. Elle joue donc le rôle de la vieille rabâcheuse mais toujours dans l'espoir d'en convaincre un.
Dans son combat, elle peut toujours compter sur un ancien protégé, Leone. En plus il est beau gosse alors forcément, les jeunes filles sont captivées par ses paroles... ou ses fesses. Dans tout les cas, les jeunes l'écoutent et c'est une bonne chose.
Quand la séance de prévention fut terminée, elle se retrouva seule avec celui qui est devenu son ami au fil du temps. Il lui lança une proposition qui la fit franchement rire.

_ Tu me connais bien !... en plus j'ai vu que tu en as mis des nouveaux, c'est tentant !

Elle disait ça tout en observant un petit sachet qu'elle avait entre les mains. Elle a beaucoup d'expérience mais il est vrai que niveau protection, elle n'innove pas souvent. Ça pourrait être marrant de tenter de nouvelles expériences. Et puis, il n'y a qu'avec lui qu'elle peut vraiment parler aussi ouvertement. Dans son entourage proche, personne ne sait qu'elle et Davis sont un couple libre. Tout les monde les pensent bien sages et fidèles.

_ Pas de problème, je suis dispo. De toute façon, ils vont tous aller essayer leurs capotes alors je ne vais plus les voir aujourd'hui.

Elle rigolait. Elle adore bosser avec des jeunes. C'est stimulant et chaque jour est différent. Et puis il faut avouer qu'elle n'est pas débordée par le travail. Elle lui offrit donc un sourire et lui glissa un préservatif dans la poche arrière de son jeans.

_ Essayes celui-là, tu m'en diras des nouvelles.

Le taquiner l'amuse beaucoup. Elle se souvient du jeune homme lorsqu'il était collégien. Il s'était posé beaucoup de questions concernant sa future vie sexuelle. A force de lui tirer les vers du nez, elle avait réussit à le faire parler. C'est vrai qu'avec sa maladie, il devrait se protéger en permanence, mais elle avait su lui faire comprendre que ça ne voulait pas dire pour autant qu'il n'aurait aucune vie sexuelle. Heureusement d'ailleurs.

« Oui, j’essaye de diversifier. Histoire de leur donner envie de les mettre, ou juste de faire attention aux goûts de chacun. »

Sous les plaisanteries, il y avait chez Leone un réel sérieux, d’abord parce qu’il avait longtemps été concerné au premier plan par le problème. Imaginer sa vie sexuelle sans préservatif avait été longtemps impossible. Autant dire qu’il avait à peu près tout testé d’imaginable sur ce marché, pour varier les sensations, trouver le plus adapté pour leur confort, à Daniel et lui. Maintenant que la science avait progressé, qu’il était communément admis que les personnes comme lui, sous antirétroviraux depuis longtemps, n’étaient plus contaminantes pour leurs partenaires, l’italien de naissance pouvait s’en passer, à condition évidemment d’appliquer les mêmes précautions que pour tout couple monogame, néanmoins il se souvenait de ses jeunes années, des moments où protéger Daniel de lui-même avait parfois été une charge, pour eux deux. Il n’avait jamais rechigné, évidemment. Mais il comprenait parfaitement que la passion des premières années d’expérience sexuelle soit considérée comme incompatible avec les feux du désir ardent. Tout son travail consistait à rappeler les risques, mais aussi tout simplement les bénéfices de telles pratiques de « safe sex ». Et pour cela, rien ne valait l’exhaustivité des produits, des expériences proposées. Ce fut donc avec un large sourire qu’il farfouilla dans sa poche pour sortir ce que Lucy avait glissée à l’intérieur, après lui avoir affirmé qu’elle pensait ne plus recevoir grand-monde dans son infirmerie. D’un rapide coup d’œil, il identifia l’objet avant de rire :

« Aaaah, parfum fraise ! Un classique voyons, tu ne penses pas que je n’y ai jamais touché ! »

Sa main plongea dans le petit tas laissé à disposition, et il en sortit un autre qu’il agita sous le nez de l’infirmière, pour ainsi dire.

« Ceux-là sont parfaits. Sans latex, nervurés, avec un peu de gel pour faire durer Monsieur plus longtemps … Avec ça, tu vas passer des moments endiablés ! »

Et Leone parlait en toute connaissance de cause : c’était sa marque préférée. Rien que d’y penser, des souvenirs relativement peu avouables à voix haute lui revenaient, de nuits torrides avec Daniel, de son visage pendant qu’ils s’aimaient, que leurs corps se faisaient et se défaisaient, que leurs souffles se mêlaient autant que leurs bassins se chevauchaient … Mieux valait qu’il chasse ces pensées dignes d’un adolescent en rut afin de se concentrer sur la conversation en cours. Histoire de ne pas plier bagage, rentrer et arracher son homme à son occupation du moment pour en trouver une nettement plus agréable. Heureusement qu’à force de parler sexualité dans ses activités bénévoles, il était pourvu d’un self-control à toute épreuve pour masquer ses pensées, justement. Et de poursuivre, gentiment :

« Maintenant, grâce à l’avancée des traitements, comme je n'ai pas de partenaires en dehors de Daniel, je n’en ai plus besoin mais … je ne sais pas ce que j’aurai fait, sans ces bouts de latex et sans toi pour me conseiller, quand j’étais plus jeune. »

Sa grand-mère l’avait bien entendu sermonné à ce sujet, mais … c’était une dame d’un certain âge, avec une éducation d’un autre temps, qui avait eu du mal à dédramatiser tout cela, ou du moins à aller au-delà de la simple prévention du risque. Lucy, au moins, avait su lui rappeler, outre les bases élémentaires, qu’il s’agissait aussi de plaisir. Et cela, après tout, était sans prix. Voilà pourquoi, aussi, en dehors de son caractère, il l’appréciait tant : Leone savait qu’il devait beaucoup à cette femme.

« Tu veux qu’on reste ici et que j’aille à la machine à café, où on se trouve un endroit sympa pas trop loin du coup ? »

_ Ce que tu es attentionné !

Elle disait ça avec un sourire autant taquin qu'affectueux. Elle savait qu'il faisait au mieux pour donner envie aux jeunes de se protéger. C'était tellement important. D'ailleurs ce n'est pas pour rien qu'elle préfère faire des cours avec lui plutôt qu'avec une personne complètement coincé qui offre un cour comme un autre. Là au moins, Leone échange avec les élèves, réponds à leurs questions et sait comment leur parler pour qu'ils réfléchissent avant d'agir. C'est important qu'ils se protègent tout le temps.
Après s'être mis d'accord pour aller boire un café, Lucy le taquina un peu en allant lui glisser un préservatif dans la poche arrière de son jeans. Elle rigola franchement quand il lui dit que c'était un classique.

_ Tout le monde l'a déjà essayé celui-là !

Son sourire ne la quitta pas quand il se mit à lui agiter un petit sachet devant son nez. Elle l'écouta parler et attrapa le petit sachet comme une gamine.

_ Arrêtes, tu vas me donner envie de le tester tout de suite.

Elle rigolait. Même si au fond, elle serait capable de le tester dans la journée. Encore faudrait-il qu'elle trouve un homme partant pour le tester avec elle. Et ça ce n'est pas gagné. Cela fait plusieurs semaines qu'elle n'a plus d'autres partenaires que son mari. Ça en devient urgent de se trouver quelqu'un. Parce qu'elle aime énormément son mari mais leurs ébats sont bien trop rare pour la satisfaire pleinement.

_ Tu aurais sans doute fait n'importe quoi.

Elle le taquinait un peu. C'est vrai qu'elle avait passé beaucoup de temps avec lui pour lui expliquer les choses, pour le conseiller et surtout le rassurer. Pauvre gamin, il était tellement perdu qu'elle avait eut du boulot avec lui. Elle reprit plus sérieusement.

_ Je suis certaine que tu aurais su trouver quelqu'un pour t'aider. Au final que ça soit moi ou quelqu'un d'autre, ça n'aurait rien changé... Même si je suis assez fière d'avoir contribué à t'offrir une vie sexuelle active !

Il lui demanda ensuite s'il allait chercher des cafés ou s'ils allaient se poser dans un autre endroit. Elle lui proposa d'aller à la cafet de l'université. C'est plein de jeune mais elle s'en fiche totalement. Elle aime l'ambiance de cette université. Et puis le café y est meilleur qu'au distributeur. Elle l'emmena donc jusque là et ils purent s'installer à une table avec leur café.