luna verlin - lion-hearted girl

Gamins échoués au milieu de la neige ; ils courent à en perdre haleine, rient, se chamaillent et jouent ensemble. Eux deux contre le reste du monde. Ils n’ont rien à craindre tant qu’ils se soutiennent. Souvent, ils croisent des regards inquisiteurs qui les toisent dans la rue. Ce sont les deux gamins de Jacqueline Verlin, ceux qui n’ont pas de père ; ceux qu’on a abandonné là. Il y a des rumeurs, évidemment. Leur mère était insupportable, refusait de coucher avec le père ou alors, les gamins lui rendaient la vie impossible. Il s’est barré, il n’en pouvait plus. Conor et Luna sont perçus comme des crapules. Ils sont différents. Conor est efféminé ; il n’aime pas ce que tous les garçons aiment. Luna est un garçon manqué. Elle a pour simple avantage d’être jolie. Aucun des deux n’apprécient Miquelon et sa mentalité. Ils ont peu d’amis. Ils se battent plus souvent qu’ils ne discutent. Régulièrement, on aperçoit Jacqueline leur courant après ou les sermonnant pour une quelconque bêtise. Luna est plus calme, plus froide. Elle est difficile à approcher. Elle reste dans son coin et observe, puis intervient lorsque Conor en a besoin. Lui, il la ramène tout le temps, attire l’attention sur lui et s’amuse des autres. Elle, elle se contente de rétorquer méchamment quand on vient à elle. Aujourd’hui, c’est l’énième bavure. Ils jouaient, puis ça a dégénéré avec le fils du voisin. Ça a commencé par des remarques virulentes de Conor, puis une bataille de boule de neiges qui a mal tourné. Jacqueline a du intervenir, encore une fois, lorsque Luna a écrasé son poing dans le visage du gamin. Fini les jeux, c’est la pénitence. Assis à table, si Conor prend une mine coupable pour gagner le pardon, Luna ne s’excuse de rien. Jacqueline, ça l’agace. En ce caractère, elle voit une familiarité qu’elle aurait aimé jamais ne retrouver. « Tu ressembles à ton père » une phrase qui ne veut rien dire, mais qui sonne comme une accusation. homme disparu au visage flou, Marc Verlin a abandonné sa famille sans excuses. J’vais chercher des clopes, ce sont ses derniers mots. De lui, Jacqueline Verlin ne garde que des reproches et de la haine. Elle a essayé de l’effacer ; il n’y a plus de photos de lui dans la maison, plus de vidéos, plus aucunes de ses affaires. Il n’a jamais existé. Lorsque ses enfants lui posent des questions, elle les ignorent. Vous n’avez pas de père, c’est ce qu’elle leur dit. Pourtant, tout le monde en a un, de papa. Jacqueline ne reparle de son époux que quand la colère la dépasse. Envers Luna, il y a une méfiance qu’elle garde secrète. Luna, elle ressemble à son père. Elle a son regard, ses idées et son caractère. Luna est ambitieuse. Elle n’aime pas Miquelon, c’est une ville de paysans. On y vit tranquille, mais on s’ennuie. Luna a des rêves à atteindre et ce monde-là lui semble bien trop petit. Marc avait la même ambition, la même envie de dévorer le monde qu’il cachait derrière son air renfrogné. Il pensait tout abandonner pour Jacqueline. Jacqueline ne voulait pas quitter ses parents, Jacqueline aimait son petit hameau. Il y fait bon vivre et les gens y sont chaleureux. On s’y sent en sécurité. Marc est resté. Ils ont eu deux enfants, se sont mariés et ont même été heureux, à un moment. Cependant, Marc s’est senti étouffé ; ses rêves l’ont rattrapé. Qu’importe la femme, les enfants ; il avait des choses à accomplir. Il n’en pouvait plus. Alors, il est parti. C’est ça, la vraie raison. Luna, aussi, elle partira. Elle le sent. Elle ressemble à son père. « Ça veut dire quoi ? » ce que ça veut dire ? tellement de choses. de choses que Jacqueline ne lui dira jamais. Ça veut dire que Jacqueline l’aime sa fille, même si elle l’embête souvent, même si elle lui répète les mêmes choses constamment, mais qu’elle est pas aveugle. Elle l’aime de tout son coeur et à en crever. Elle aime cet air défiant placardé sur son visage, sa ténacité et sa détermination pour chaque chose. C’est ce qu’elle avait aimé chez Marc aussi, mais elle sait que c’est ce qui va la lui enlever sa Luna. Elle va partir. « Que tu vas me faire du mal. »  Luna ne comprend pas, la mine déconfite rapidement transformé en consternation. De là, se suit un affrontement sans nom débuté par Luna, en colère d’être si injustement accusé de ressembler à un tel homme, juste pour une simple bêtise. Elle ne comprend pas et elle ne comprendra jamais.

Et Luna partira, en amenant son frère en plus de cela.

À Montréal, Luna s’est sentie revivre. Elle a quitté la maison familiale, son odeur vieillie et sa modestie. Elle vit par elle-même, aujourd’hui. On ne recycle plus les vieux fringues des cousins, on a plus besoin de serrer les coudes et de dépenser un minimum. Luna, elle a plus besoin de regarder les vitrines avec envie en sachant qu’elle ne pourra jamais s’acheter le dernier manteau à la mode. Elle n’a plus besoin de réunir toutes ses pièces, une par une, de les compter simplement pour s’acheter un magazine de mode à 3 dollars. La mentalité y est meilleure. On ne la juge plus, on ne reste plus guetter ses moindres mouvements et elle a pu quitter l’air étouffant de la maison. Elle suffoquait, dans ce lieu envahi par les mauvais souvenirs, l’abandon. Aujourd’hui, elle peut être elle-même.